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Jean SEGURA                                                                                    

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Une première version de cet article a été publiée dans Inamag, Le magazine de l'image et du son n° 8, novembre 1998

Histoire du Journal télévisé à la télévision française

FILMER PLUS LOIN, MONTRER PLUS VITE

par Jean SEGURA

L'histoire du JT est aussi celle d'une aventure technologique dont la finalité est d'être au plus prêt de l'événement, et d'en rendre compte le plus vite possible. Vers une télévision du temps réel ?

L'expérience du direct, Jacques Sallebert l'a vécue, le 25 juillet 1948, soit un an avant la naissance du JT: il s'était alors frotté au périlleux exercice de commenter l'arrivée du Tour de France avec des images provenant de trois caméras installées dans l'ancien Parc de Princes. Pour transmettre ces images par voie hertzienne vers l'antenne de la rue Cognacq-Jay, "il a fallu hisser l'antenne du car régie sur un ballon saucisse utilisé dans l'armée, car même la grande échelle de pompier n'était pas assez haute" se souvient-il. Mais à partir de juin 1949, les premiers journaux télévisés sont constitués au départ de films d'actualités d'agence (initialement pour le cinéma) remontées par les soins des journalistes et techniciens de la rue Cognacq-Jay. Très vite, on intègre les premiers reportages maison grâce aux deux ou trois caméras disponibles (des 16mm Bell et Howell ou Paillard) que les uns et les autres mettent à contribution. "J'ai racheté la mienne à Paul Emile Victor en 1951 lors de l'expédition polaire française au Groenland" se rappelle G. de Caunes. Pour le direct, il y a ce magnifique car, avec des caméras très lourdes construit par Radio Industries et Henri de France, qui avait permis de couvrir l'arrivée du Tour en 1948. Mais la plupart du temps, on part en reportage dans Paris en prenant le métro ou au mieux la Peugeot 202 que J. Sallebert venait d'acheter : "car c'était une décapotable et on pouvait faire des travellings".

Les films sont rapportés à Cognacq-Jay tôt dans la journée afin être rapidement développés et montés avant le soir. Le commentaire est ensuite écrit et lu par le journaliste qui a fait le reportage. Si on n'a pas le temps, le commentaire doit être improvisé en direct à partir d'une cabine pendant le journal qui ne commence alors qu'à 21 h, heure bien tardive par rapport au "vingt heures" d'aujourd'hui. A la fin des années 50, l'apparition d'un matériel de tournage plus performant et plus commode, telle la caméra 16 mm sonore Eclair-Coutant, permet de rapporter des reportages plus vivants au plus près de la réalité de l'événement.

Grâce aux premiers magnétoscopes deux pouces Ampex qui ont font leur apparition à la télévision française en 1960, les images peuvent être directement enregistrées et remontées pour le journal. Et le magnétoscope commence à remplacer l'antique kinescope (inventé en 1950) qui ne permettait que de conserver les images télévisées que sur film. En 1962 les téléspectateurs commencent à découvrir aussi le reste de la planète grâce à la Mondovision, système de télécommunications par satellite conçu pour s'envoyer des images entre l'Amérique du Nord et l'Europe au départ, puis avec le reste du monde progressivement.

Des images par la bande

C'est à la fin des années 70 que commence à poindre la vidéo. Roger Gicquel se souvient : "Jusqu'en 1980, nos équipes partaient tourner en film qui arrivaient ensuite au laboratoire pour être développés, passés en télécinéma puis magnétoscopés. Les sujets étaient lancés à partir de la régie sur le texte du présentateur mais ils étaient sur bandes et non plus sur films". Pour Claude Sérillon: "La différence fondamentale (avec aujourd'hui) est que cela prenait beaucoup plus de temps. Pour faire le journal du soir avec des reportages filmés, nous avions très peu de temps. Il fallait partir en tournage, revenir, développer le film et faire le montage, ce qui était beaucoup plus long. En général nous commentions en direct, en commentaire cabine. Il y avait très peu de mixage. Nous faisions moins de sujets et les plateaux des présentateurs étaient beaucoup plus longs. Tout était à l'avenant. Les journaux avaient infiniment moins d'éléments : moins d'informations, moins d'éléments films, moins de reportages. A partir du moment où on est passé à la vidéo, cela s'est accéléré."

Une transition qui pour Claude Sérillon s'est fait vers 1977. Je me souviens qu'on cherchait des volontaires pour passer à la Betacam, beaucoup plus lourde que l'actuelle, et il y en avait peu au départ. L'un de mes camarades, Henri Gallet fait partie de ceux qui s'y sont mis. Les choses se sont faites progressivement mais les cameramen disaient que l'image était moins belle, moins léchée, que c'était plus lourd, moins mobile. Ils étaient reliés par un câble et c'était un peu compliqué techniquement". Dans les années 81-82, on travaille encore sur les deux supports, la passage définitif à la cassette vidéo marquant sur le fond une vraie révolution : "Cela s'est traduit par un afflux d'images. En même temps, nous avions des possibilités de choix et nous nous donnions la liberté d'aller tourner le plus tard possible, y compris jusqu'à 20h00 car nous savions qu'il suffisait de mettre la cassette pour envoyer le reportage. Cela nous a ouvert des capacités de tournages et de retransmissions d'émissions qui étaient incomparables".

Au retour de reportage, "le transfert des images se faisait de la vidéo sur vidéo, donc sans l'étape de développement film" explique Sylvain Gouz, rentré à TF1 en 1982 et par la suite rédacteur en chef des JT en 1987-88, "ce qui permet de s'approcher du temps réel". Avec la vidéo légère, apparue par la suite, on pouvait être sur le lieu de l'événement et tourner immédiatement, comme cela a été le cas lors de la vague d'attentats en France en 1986. Le changement de format, d'abord du 3/4 Umatic au 3/4 BVU au milieu des années 80, puis au 1/2 Betacam en 1989 a permis une bonne reproductibilité sans perte de qualité sur 3 à 4 générations. Le Beta remplacé tous les formats vidéo.

Dématérialisation du support

L'inconvénient de la vidéo par rapport au film est que le montage est moins souple et ne permet pas de faire des inserts de dernière minute ou des modifications, à moins de tout recommencer, ce qui peut être assez long. Le montage virtuel, appelé aussi montage non linéaire, n'est apparu qu'en 1993 avec les systèmes Media Composer, puis New Cutter d'Avid tournant su Macintosh. Ces derniers utilisent un disque dur (support aléatoire) plus rapide et plus flexible que la bande vidéo (support séquentiel). Ici le signal vidéo analogique est numérisé et les images stockées sur disque dur. Dans le cas des news, on ne numérise que ce qui est intéressant pour la fabrication du sujet. "Cette technique a permis de conjuguer la rapidité du montage vidéo tout en retrouvant la liberté qu'on avait avec le film, mais de façon beaucoup plus rapide" explique Yves Le Bras, responsable des moyens techniques de FR2. Le montage virtuel permet de monter et de remonter le sujet autant de fois qu'on veut, avec tous les inserts souhaités (ajouts d'images d'archives par exemple), et ce sans perte aucune d'une génération à une autre.

Aujourd'hui à France 2, depuis l'installation dans les nouveaux locaux de France Télévision dans le XVe arrondissement de Paris, toutes les images transitent par des serveurs, "ce qui permet d'éviter les temps de transfert et les manipulations de bande" explique Yves Le Bras. Ainsi le reportage peut être monté en sujet, mixé avec son commentaire et sa musique, visionné par la rédaction et diffusé au moment du journal à partir d'une architecture informatique complexe depuis laquelle s'articulent toutes ces étapes. Mais comme l'explique aujourd'hui Claude Sérillon, "nous allons connaître à mon avis dans les deux à trois ans à venir une évolution encore plus rapide pour le journal en ce qui concerne les numérisations et compressions d'images, l'absence de cassettes. Tout cela va encore être complètement bouleversé (…). C'est la chose la plus étonnante. Il y a même un manque physique. Avant vous aviez votre film, vous courriez le donner au télécinéma. Puis après il y a eu la cassette qu'on était content de mettre dans l'appareil. Maintenant, il n'y a plus rien. Plus rien en main. Les reportages sont faits sur cassettes, tout part en salle de montage et retransmis par ordinateur". Pour Yves Le Bras :"On assiste à une dématérialisation du support : le fichier est en train de remplacer la cassette, ce qui va permettre une extrême rapidité du traitement de l'information avec des possibilités d'enrichissement dans la présentation".

D'un bout à l'autre de la planète

L'autre grande avancée technologique concerne les moyens de transmission. A partir de 1962, les échanges d'images entre les différents pays d'Europe vont s'accélérer avec le système Eurovision News Exchange, ou EVN. Ce dernier va permettre aux différents pays de l'UER (Union Européenne de Radiodiffusion) de s'envoyer mutuellement des images à partir de deux centres européens situés à Bruxelles et à Genève. Pour recevoir des images de province ou de l'étranger se rappelle Gicquel "il y avait des rendez-vous fixes de faisceaux et une régie spéciale pour recevoir les EVN, qui existait bien avant mon arrivée sur TF1 et la production régionale". Mais poursuit Sérillon, "lorsque ce qu'on appelait les boîtes noires ont été installées, les transmissions ont été plus nombreuses et plus rapides". Comme le rapporte Anne Lechêne (DAV n°11, jan-fév.1987), ces "boîtes noires" ou bornes audio-vidéo (BAV) ont été implantées par TDF à partir de 1983-84 souvent en rase campagne, "au pied de châteaux d'eau ou au sommet d'une colline, ce qui s'est à l'usage révélé peu commode pour les journalistes", puis par la suite, comme à Chaumont ou Boulogne, au dernier étage d'un immeuble dans un appartement aménagé en mini-studio. L'équipe de reportage en province prend préalablement contact avec la rédaction puis avec les services régionaux de TDF pour réserver et effectuer la commutation avec le réseau. L'équipe de reportage sur le terrain branche alors son magnétoscope sur la prise lecture de la BAV, laquelle est reliée par un système téléphonique au centre TDF le plus proche.

Plus récemment encore, la valise de transmission Toko permet d'envoyer des images en mode RNIS (numérique à 64 kbits/s) depuis n'importe quel point du globe en pointant une antenne parabolique vers le satellite de communication IMARSAT. La durée de transmission d'images d'assez bonne qualité est alors trente fois celle de la durée du reportage (par exemple 30 mn pour une minute). Pour Christine Ockrent, présentatrice du 20h d'A2 de 1981 à 1985, "l'un des grands bouleversements de la période contemporaine a été non seulement le passage du film à la vidéo, mais également celui de l'arrivée du satellite, c'est à dire le passage à un information en direct qui devenait beaucoup moins chère, mais qui en même temps faisait que, il y avait et il y a, de façon exponentielle, une accélération du temps télévisuel".

Prompteur et oreillette

En studio, le prompteur - écran situé face au présentateur et sur lequel il peut lire les commentaires qui apparaissent en mode défilant - fait son apparition au début de années 70 et des hommes comme Joseph Pasteur sur TF1 commencent à l'utiliser à partir de 1971. Mais, comme se rappelle Claude Sérillon, qui est rentré à l'ORTF Ile de France en 1973 : "le prompteur était un rouleau de papier sur lequel on tapait le texte que je corrigeais à la main". Georges de Caunes, qui se méfiait de la censure, lui préférait s'en passer, car il craignait qu'on change son texte initial. Le prompteur va se généraliser au cours des années 70 : "moi je l'ai eu d'office", raconte R. Gicquel, présentateur du 20h sur TF1 à partir de 1975, "on écrit soi-même le texte que l'on dicte ensuite à sa dactylo qui est en quelque sorte le premier "téléspectateur" à l'entendre. Si elle faisait mine de ne pas saisir certains passages, il fallait alors modifier ce texte. Evidemment, c'était un support mnémotechnique qui permettait d'aller plus vite, et un outil au profit de l'ensemble de la production du journal" .

Au milieu des années 80 est apparue l'oreillette - un écouteur discret fixé sur l'oreille du présentateur - qui a remplacé l'antique téléphone de plateau. "Cela a changé la manière de faire le journal grâce à un contact permanent entre la régie et le présentateur" explique Sylvain Gouz de TF1. L'année 85 et les suivantes ont aussi été celles de l'arrivée des premiers micro-ordinateurs dans les rédactions. Pour les journalistes, l'écran a remplacé la feuille de papier. L'informatique a permis aussi de gérer le conducteur (ordre, durée et nature des sujets) du journal de façon plus rapide et plus souple. Auparavant, rappelle Sylvain Gouz, "lorsqu'il y avait une modification dans le conducteur, il fallait en retaper un nouveau et prévenir tout le monde". Aujourd'hui la dernière version du conducteur de la journée est accessible par toute l'équipe sur écran.

Jean SEGURA

 

L'histoire du Journal télévisé à la télévision française : les chapitres

   PARCOURIR LE MONDE EN TRENTE MINUTES

   FILMER PLUS LOIN, MONTRER PLUS VITE

   DES HOMMES ET DES FEMMES DANS LA LUCARNE

   COUPS DE CISEAUX ET COUPS DE GUEULES

   DU PREMIER JOURNAL À L'INFO MULTI-CHAINES

   Jacques SALLEBERT - Interview

   Georges DE CAUNES - Interview

   Roger GICQUEL - Interview

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