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Jean SEGURA                                                                                    

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Une première version de cet article a été publiée dans Inamag, Le magazine de l'image et du son n° 8, novembre 1998

Histoire du Journal télévisé à la télévision française

PARCOURIR LE MONDE EN TRENTE MINUTES

par Jean SEGURA

Calqué sur les actualités cinématographiques, le JT des premiers âges s'est transformé en véritable produit éditorial fabriqué par des professionnels de l'information avec sa "mise en page" et ses rubriques.

Les premiers JT sont un simulacre de journal dira G. De Caunes : "en réalité c'était une revue composée de sujets dont n'avaient pas voulu les Actualités Françaises ou la Gaumont, rebut de leur magazine hebdomadaire pour les salles de cinéma. Nos images n'étaient donc pas très originales et le journal en lui-même était composé de petits sujets qui étaient des caricatures d'actualité commentées par les journalistes". C'est l'époque des formules rituelles au ton déclamatoire et amusé comme "la Parisienne sera toujours la Parisienne" de Pierre Tchernia, ou le " C'est une belle réalisation française". Conscient de faire ce journal pour une poignée d'originaux, Pierre Dumayet emploie ce ton volontairement ironique : " Qu'on en juge avec ce sujet de l'époque commenté par Pierre Dumayet avec ce ton un rien ironique : "de nombreux téléspectateurs - une dizaine environ - nous ayant réclamé une course de garçons de café, nous avons le plaisir de vous montrer la plus récente… ce n'est pas la meilleure, elle n'est pas fameuse"".

"On faisait de la télévision pour les copains" se souvient J. Sallebert. A partir du moment où les journalistes ont pu faire eux-mêmes leurs reportages, sur les vingt à trente minutes de durée du JT, les sports occupent une large place et constituent sa vraie valeur ajoutée. "Car nous diffusions des images datant souvent de la veille, tandis qu'aux actualités cinématographiques, il fallait encore attendre une semaine pour voir des retransmissions sportives" explique G. De Caunes. A partir de 1949, et les années qui suivirent, cet avantage va permettre par exemple de couvrir le Tour de France avec des reportages quotidiens sur chaque étape. Les films sont envoyés par train ou par avion et peuvent être programmés le lendemain lors de l'édition de 12h30. Le reste de l'actualité est constitué d'inaugurations diverses, ou bien, se souvient G. de Caunes de reportages à Matignon sur les changements de gouvernement de la IVe République.

Une fenêtre sur l'étranger

Autre évolution avec l'apparition des premiers correspondants à l'étranger. J. Sallebert avait dès 1950 souhaité traverser la Manche. "comme Blériot", s'amuse-t-il à dire. Le 2 juin 1953, c'est lui qui commente en direct la cérémonie de couronnement de la reine Elisabeth II. Par la suite il anime en fin de JT une chronique régulière "A vous Londres" dans laquelle il relate la vie de nos voisins d'outre-Manche et commente les relations franco-britanniques. "Cette chronique a eu beaucoup de succès car elle ouvrait au public français une première fenêtre sur l'étranger" explique J. Sallebert. Cette période est suivie par les débuts d'une télévision de reportage, avec des journalistes qui vont sur le terrain chercher l'information pour le JT ou encore pour Cinq Colonnes à la Une, nouveau mensuel d'actualité lancé en 1959 par les "trois Pierre" (Lazareff, Desgraupes et Dumayet) avec le réalisateur Igor Barrère.

A partir de 1960, les quatre éditions de la journée permet de mieux ventiler l'actualité : informations politiques et faits divers à 13h, enquêtes reportages et magazines à 19h15, politique intérieure et extérieure à 20h15, résumé de l'actualité à 22h30. En 1963, le ministre de l'information Alain Peyrefitte inaugure une "nouvelle formule, qui supprime les commentaires pour laisser parler seulement les images ou les faits" . C'est aussi l'époque de nombreux bouleversements. Il a d'abord l'arrivée sur le plateau de spécialistes (judiciaire, sciences, économie) avec force graphiques et maquettes, François de Closet et Emmanuel de la Taille. Mais, à l'inverse donc de ce qu'avait souhaité Alain Peyrefitte, le commentaire ici l'emporte sur les images. Car, comme l'explique aujourd'hui Hervé Brusini, "l'économiste ne peut filmer l'indice des prix, donc il en parle ! C'est ce qui va donner naissance à l'image prétexte (des foules, des villes, des immeubles, des usines) venues en support du commentaire et non plus comme élément premier de l'actualité". Il était aussi impossible de filmer les procès illustrés uniquement par des dessins que seule pouvait faire vivre la verve d'un chroniqueur judiciaire de talent comme l'a été Frédéric Pottecher.

Hiérarchiser l'information

Avec le JT, les Français découvrent aussi leurs régions, à partir de 1963, grâce aux 23 centres de collecte et de traitement locaux de l'information (les CAT, embryon des futures stations de FR3). Dès 1964, 14 minutes d'actualité quotidiennes en région sont proposées. Nommé correspondant permanent aux Etats-Unis en 1962, J. Sallebert inaugure la première liaison transatlantique de Mondovision passant par le satellite Telstar. Pendant huit ans - et grâce à cette avancée technologique - il anime des directs pour le JT depuis New York et produit plusieurs magazines sur l'Amérique. La Mondovision est d'ailleurs l'outil indispensable qui va rendre possible la retransmission des JO de Grenoble en 1968, ou celui qui, en juillet 1969, va permettre à J. Sallebert de commenter à chaud les premiers pas d'Armstrong et d'Aldrin sur la Lune. Bientôt la Mondovision s'étendra à toute la planète.

A partir de 1975, qui correspond à la mise en place des nouvelles sociétés de télévision, on assiste à une plus forte personnalisation du journal avec des hommes comme Yves Mourousi ou Roger Gicquel. Ce dernier s'explique : "Cela ne signifiait pas pour autant que j'étais responsable de l'intégralité du contenu du journal. Je n'en étais pas le rédacteur en chef." Mais précise-t-il plus loin "mon parti pris de la hiérarchisation de l'information était d'ouvrir le journal avec un sujet d'actualité qui n'avait pas d'images. Par exemple, je prenais sur moi de parler d'une catastrophe dans le delta du Gange sans images - ce qui m'était beaucoup reproché. Ce à quoi je répondais que ce n'est pas parce qu'il n'y a pas d'images qu'il n'y a pas d'information. C'était un conflit presque permanent".

A partir de 1978 commencent les premiers JT en direct depuis des villes étrangères, notamment ceux de Yves Mourousi et de Patrick Poivre d'Arvor. Le journal télévisé a changé alors de forme et de nouveaux spécialistes viennent à l'antenne : des chroniqueurs, le plus souvent politiques ou économiques, qui prenaient la responsabilité de leurs éditoriaux. D'autres viennent parler de ce qu'ils connaissent bien : la santé, le sport, le cinéma, les livres, etc. Même la météo se personnalise avec des figures comme Laurent Broomhead, puis Alain Gillot-Petré.

Avec la concurrence entre les chaînes, raconte Roger Gicquel, "il y avait émulation et donc forcément prouesse journalistique et technique. Chacun essayait de faire parvenir des images le plus vite possible. Néanmoins, lorsqu'il s'agissait d'images de provenance très éloignée, le délai était de 24 à 48 heures. Les moyens pour qu'elles arrivent rapidement étaient encore plus déployés lorsqu'il s'agissait d'un chef d'état ou un premier ministre en visite à l'étranger (Chine ou Iran). Dans ce cas, nous avions les images dans la journée".

Même si la publicité était présente sur la première chaîne depuis 1968, puis sur la 2ème à partir de 1971" il y en avait très peu avant le journal et on ne parlait pas encore d'access prime time" nous rappelle R. Gicquel "on ne se souciait donc pas d'établir une échelle d'audience du journal. C'est venu plus tard à l'époque d'Hervé Bourges (nommé en 1983 à la tête de TF1), on a commencé à en parler avec les émissions comme celle de Collaro (Cocorico Boy et son "bébête-show" à partir de 1984) et un feuilleton (???) qui précédaient le journal. Mais dans la période où j'en étais le présentateur, je n'entendais pas parler du souci des chaînes de préparer la "litière" pour le journal".

L'effort de mise en page

Après l'arrivée de la gauche au pouvoir en 1981, la formule du JT va encore changer comme le raconte Christine Ockrent appelée à présenter le 20h sur A2 : "nous avons complètement transformé le 20 heures avec Claude Carré. J'étais rédactrice en chef du 20 h – c'était la première fois que les deux fonctions de présentateur et de rédacteur en chef étaient cumulées– nous avons donc décidé avec Claude qu'il fallait mettre en page le journal télévisé comme un journal de presse écrite en essayant de mieux organiser la priorité des sujets, d'en traiter certains plus longuement que d'autres. Nous avons alors fortement réformé le 20 heures de la 2 qui était d'ailleurs le journal le plus regardé de France pendant quelques années".

Mais "l'accélération du temps télévisuel, lié aux développements des nouvelles technologies (tournage en vidéo et transmission par satellite, notamment) est selon Christine Ockrent "très compliquée à gérer en matière d'information du fait qu'elle gomme énormément du temps de réflexion et d'approfondissement de tel ou tel événement qui vous tombe dessus. Et cela fait du JT, de plus en plus, une sorte de chambre d'enregistrement de l'événement qui surgit, sans qu'il y ait nécessairement beaucoup de recul ou de mise en perspective. Et il y a aussi, pour compléter, du fait de cette accélération des technologies, une formidable banalisation de l'image. C'est à dire que maintenant les gens trouvent tout à fait normal, donc banal, d'apprendre un événement et en même temps de voir l'image, alors que – souvenez-vous de la guerre du Vietnam – entre le moment où l'on apprenant un événement et son illustration il fallait parfois cinq ou six jours".

Des événements comme la chute du Mur de Berlin en novembre 1989 ou la révolution Roumaine, notamment sur le journal de la Cinq, inaugure en effet une période d'information permanente en direct.  Mais avec l'apparition des chaînes commerciales et le renforcement de la publicité, la pression économique semble se faire plus hégémonique. Pour Cl. Sérillon, successivement présentateur du JT, sur A2, TF1, et à nouveau FR2 depuis août dernier "Cette pression économique est tellement importante pour la conception des programmes qu'elle a même transpiré dans les journaux qui se sont mis à faire du marketing, c'est-à-dire qu'on cible les gens à qui on doit s'adresser. Le plus typique étant le journal de 13h00 de TF1 qui est un pur produit de marketing. Ca n'est pas un journal, même s'il est formidablement bien fait et très efficace en terme d'audience. Pour moi, les règles de base du journaliste c'est d'abord savoir quelle est l'information la plus importante, est-ce qu'on peut la décliner sous plusieurs aspects ? Et puis ensuite quelle est l'information suivante, etc. C'est une règle de base. C'est faire des enquêtes, comparer, être rigoureux, ne pas tout mettre au même niveau (…) A nous de trouver une autre identité. C'est en grande partie pour ça que Pierre Henri Arnstam et moi, en revenant, on applique un autre discours (que celui des chaînes commerciales) celui de hiérarchiser les choses d'une autre manière".

Des formules pour tous les publics

Pour Christine Ockrent l'influence de la publicité n'a rien à voir avec le contenu de l'information télévisée : "La télévision a besoin de ressources pour vivre. Il y a des systèmes où l'information est très libre mais où elle est cependant entièrement financée par la publicité. La liberté c'est surtout ce qu'on en fait. Ce n'est pas le système qui en soi - sauf les systèmes totalitaires - engendrent cela. C'est plus une question de mentalité, de qualité collective, de qualité de la direction. C'est trop facile de dire que l'information, appartenant à des groupes privés, serait nécessairement totalement biaisée et ridiculement manipulée et qu'à contrario, l'information dite de service public serait sans taches. Il faut être beaucoup plus nuancé : je crois qu'il y a des produits d'informations qui sont meilleurs que d'autres, des gens qui travaillent mieux que d'autres ; et la publicité ne détruit pas nécessairement la conscience des journalistes. Ce n'est parce qu'une émission est soutenue par de la publicité ou se prête à des écrans publicitaires chers qu'elle est nécessairement dévoyée. Tout n'est pas aussi simple".

Ockrent souligne plutôt le côté évolutif du JT : "Il faut arrêter de penser que le journal télévisé est un exercice figé. Il évolue en fonction des publics, de ses attentes et de la diversité de l'information, etc. On ne peut plus faire aujourd'hui un journal comme on le faisait il y a vingt ans. Cela n'a pas de sens (…) . En outre, l'apparition cette dernière décennie de nouvelles formules de diffusion de l'information (information continue sur LCI, journaux courts sur Arte, M6, etc.) vise à répondre à une diversité des publics. Car Pour Ockrent : L'information est un domaine gigantesque. Il est clair que le public est beaucoup mieux informé aujourd'hui qu'il ne l'était une ou deux générations plus tôt. Quantitativement le nombre de gens touchés savent plus de choses que leurs grands-parents et que par rapport à cela, il y a différentes manières de les informer ou de les atteindre, en fonction de leur demande et de leurs centres d'intérêt. C'est dans cette diversité là qu'on trouve la qualité démocratique de l'information en France." L'apparition des nouvelles technologies, numériques notamment pourrait bien modifier le contenu même du journal.

Pour Claude Sérillon l'extrême rapidité de l'acquisition des information explique "les dérives constatées lors des directs ou reportages. Compte tenu de l'immédiateté entre la réception de l'image et sa diffusion, il y a perte de contrôle. C'est évident et mathématique. C'est ce qui a, je pense, largement contribué aux dérapages de notre métier en tout cas audiovisuel". Pour d'autres comme Ch. Ockrent l'accent doit être porté sur l'équilibre à trouver entre ces nouvelles techniques et le professionnalisme des journalistes qui les utilisent : "Ce qui est difficile et délicat, c'est que les jeunes journalistes sont de plus en plus formés pour être multicartes, c'est à dire avoir plusieurs compétences : savoir à la fois enregistrer, filmer, monter, mixer, etc. C'est très bien, mais il y a toutefois un moment où ça ne remplace pas ni la culture générale, ni l'effort d'écriture et même d'orthographe qui sont tout de même les ingrédients de base de tout exercice journaliste. Plus on va vers les métiers hautement techniques en matière d'information, plus le risque est grand d'avoir des gens très pointus pour faire tourner les machines, mais qui auront peut être tendance à négliger un peu trop la mémoire, le contexte, l'histoire, la mise en rapport, qui sont quand même la besogne principale du journaliste. La valeur ajoutée du journaliste, elle est là et ne se trouve pas dans le savoir-faire d'une technologie, même s'il est important de savoir la maîtriser".

Jean SEGURA

 

L'histoire du Journal télévisé à la télévision française : les chapitres

   PARCOURIR LE MONDE EN TRENTE MINUTES

   FILMER PLUS LOIN, MONTRER PLUS VITE

   DES HOMMES ET DES FEMMES DANS LA LUCARNE

   COUPS DE CISEAUX ET COUPS DE GUEULES

   DU PREMIER JOURNAL À L'INFO MULTI-CHAINES

   Jacques SALLEBERT - Interview

   Georges DE CAUNES - Interview

   Roger GICQUEL - Interview

 

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