Jean SEGURA                                                                                    

Contact par e-mail : jean@jeansegura.fr

www.jeansegura.fr

Alain et Jean Segura 1955

Alain et Jean Segura. Année scolaire 1955-1956, école communale de garçons, 5 rue Milton, Paris 9e, décembre 1955. Alain en CM2, Jean en CE1 et les deux frères sont réunis pour ce portrait, souvenir d'école.

JEAN ROGER SEGURA (1949-) : DATES & LIEUX DE VIE

 Ici sont réunis une chronologie de mes souvenirs mêlés à des descriptions que l'âge mûr me permettent de préciser aujourd'hui.

2e partie : Octobre 1955 - septembre 1957. Premières années et premières misères à l'école communale, premières vacances et premières joies au Club Méditerranée.

Jean SEGURA

Page précédente : Mars 1949 : Septembre 1955

Famille Robert Segura

Robert et Dolly Segura et leurs trois fils André, Alain et Jean en 1952 dans leur maison de La Varenne: Jean tient le petit chat.

Dates et lieux :

Octobre 1955 : Entrée à l'Ecole Communale de garçons, 5 rue Milton , entrée rue Hyppolite Lebas, Paris 9e. Test de lecture. J'avais appris l'alphabet sur des cubes que nous avions à la maison. Grâce à Alain, je connais aussi le nom des planètes du système solaire et de quelques dinosaures. Conclusion : on me fait sauter le cours préparatoire et on me place dans une classe de cours élémentaire 1. Ma maîtresse est une jeune femme, plutôt jolie et très gentille, pour qui je ressens attirance et affection : Mademoiselle Benten.

Ecole primaire 5 rue Milton

Ecole communale de garçons, 5 rue Milton, Paris 9e, entrée rue Hippolite Lebas, en mai 2007. Rien n'a changé ou presque depuis les années 1955-1959.

Jean Segura 5 rue Milton 1955

Année scolaire 1955-1956, école communale de garçons, 5 rue Milton, Paris 9e,classe de CE 1, Jean Segura au premier rang, premier en partant de la gauche.

Photo de classe, novembre 1955

Davy Crockett Roi des trappeurs - Norman Foster

Davy Crockett, roi des Trappeurs de Norman Foster, mon deuxième grand héros

Voici quelques films que j'ai vus avec Alain à Paris ou à La Varenne pendant la saison 1955-1956 avec leurs dates de sortie en première exclusivité :

8 juillet 1955 : Taza, fils de Cochise (Taza, Son of Cochise) de Douglas Sirk avec Rock Hudson.

Encore un western avec des indiens. Cette atmosphère exotique me plait bien. Est-ce que la vraie vie pourrait ressembler à ça ?

Je découvre Rock Hudson qu'Alain aime bien aussi.

8 juillet 1955 : Les Sept femmes de Barberousse (Seven Brides For Seven Brothers) de Stanley Donen, avec Howard Keel et Russ Tamblin.

Cette comédie musicale se passe dans les montagnes du Far West. Ca chante, ça danse, ça saute, avec des personnages très forts. Tout ça est très gai, très enjoué et rehaussé par de magnifiques couleurs. Un beau souvenir. J'aurais voulu vivre comme ça.

15 juillet 1955 : La Conquête de l'espace (Conquest of Space) de Byron Haskin.

Ce film en couleurs se passe entièrement au cours d'un voyage entre la terre et Mars. Une station spatiale circulaire tourne sur elle-même et des gens habitent dedans. Il y a aussi des fusées et des sorties d'astronautes dans le vide. Un des astronautes reçoit un fragment de météorite et meurt. J'apprend par Alain le mot « météorite ». L'astronaute mort se détache lentement de la fusée et s'éloigne à jamais dans le vide spatial. C'est très impressionnant. C'est très triste aussi parce que c'était un gentil personnage qui, plus tôt dans le film venait de s'adresser à sa famille par radio. J'ai probablement vu ce film de science fiction à la même période que 24 heures chez les martiens (voir plus haut).

22 juillet 1955 : D'Artagnan, chevalier de la Reine (I Cavalieri Della Regina) de Mauro Bolognini

Ma découverte des Trois Mousquetaires avec D'Artagnan, Athos, Porthos, Aramis. Des duels, des actes héroïques dans un de mes premiers films de cap et d'épée. Je me souviens aussi de Porthos, le gros, qui renverse une charrette de fruits et légumes.

13 Août 1955 : Nana de Christian-Jaque avec Martine Carol et Charles Boyer

Film à costumes, et pour moi le premier dans lequel une femme a le rôle principal. Je ne comprends pas bien pourquoi elle exerce une telle fascination sur les hommes. La scène de l'incendie m'impressionne beaucoup. Elle s'achève par le suicide de l'un des personnages qui se tire une balle dans la tête qui me laisse perplexe. Je ne savais pas qu'on pouvait se donner la mort soi-même et je me demande ce qu'une balle de pistolet peut faire en rentrant dans la tête.

2 septembre 1955 : Désirée d'Henry Koster avec Marlon Brando

Encore un film à costumes. Je découvre simultanément Napoléon et Marlon Brando, ainsi que Bernadotte.

23 septembre 1955 : 20 000 lieues sous les mers (20 000 Leagues Under the Sea) de Richard Fleischer, d'après le roman de Jules Verne, avec Kirk Douglas dans le rôle du marin Nedland, (voir plus haut)

10 novembre 1955 : La Terre des Pharaons (Land of the Pharaos) d'Howard Hawks avec Jack Hawkins et Joanne Collins.

Alain Segura Jean Segura 11 novembre 1955, Champs-Elysées

Alain Segura et Jean Segura, le 11 novembre 1955 devant le 92 avenue des Champs-Elysées à Paris 8e, lors de la commémoration de l'armistice de la 1ère Guerre Mondiale.
Au cinéma le Triomphe, le film La Terre des Pharaons d'Howard Hawks vient de sortir.

 

Un deuxième film sur l'Egypte antique, après L'Egyptien , si bien que je confondrai encore souvent les deux !   Je me souviens de la démonstration de fermeture des pierres par l'architecte avec un mécanisme de sable qui s'écoule par des ouvertures que l'on débouche en cassant une « poterie » sur le mur.

Cette scène annonce celle de la fermeture irréversible du tombeau à l'intérieur de la pyramide à la fin du film. Ce sont des moines chauves qui cassent les poteries et au fur et à mesure que le sable s'écoule, les lourdes portes en pierre descendent, enfermant tous les personnages présents dans la salle du tombeau condamnés à mourir emurés. Une femme (Joan Collins) hurle « je ne veux pas mourir ! ». Et j'en suis tout bouleversé. Décidemment, la mort me hante.  

23 décembre 1955 : La Belle et le clochard (Lady and the Tramp ), production de Walt Disney

Mon deuxième grand dessin animé de Walt Disney. Une histoire de chiens charmante. Je me souviens de la scène du restaurant italien ou Lady, le chien cocker, mange un plat de spaghettis avec le sympathique   chien surnommé le « clochard ». Je commence à   savoir qui est Walt Disney : un monsieur américain qui aime les enfants. D'autant qu'on commence à parler de Disneyland, un parc d'amusement merveilleux. Je continue à lire le Journal de Mickey où je peux suivre le feuilleton de La Belle et le Clochard.

30 décembre 1955 : Attila, fléau de Dieu (Attila) de Pietro Francisci, avec Anthony Quinn

Le terrible Attila qui tue de pauvres paysans et dévaste tout sur son passage m'impressionne beaucoup et me fait peur. Il a une coiffure étrange avec une longue queue de cheval. Il est brutal et sanguinaire et représente ce que je ne voudrais pas être et le genre d'homme qui ne devrait pas exister. C'est un malheur pour les êtres humains. Peut-être que je le compare à Alain quand il est méchant avec moi.

27 janvier 1956 : Si Paris nous était conté de Sacha Guitry

Une longue histoire avec des époques différentes et des personnages qui changent tout le temps. Je suis un peu perdu, mais ça me plait. Je me souviens de l'évasion de Latude (joué par Robert Lamoureux) à la Bastille et qu'il est toujours repris.

17 février 1956 : L'Enfer des hommes (To Hell and Back) de Jess Hibbs, avec Audie Murphy

Mon premier film de guerre avec des soldats qui se tirent dessus et des morts, plein de morts. Ils portent des casques, ce sont des soldats américains. Les ennemis sont les Allemands. A la fin le héros survivant est décoré devant plein de soldats au garde-à-vous. Il revoit tous ses amis morts, avec leurs casques sur la tête, comme dans un rêve.

9 mars 1956 : Hélène de Troie (Helen of Troy) de Robert Wise, avec Rossana Podesta

J'ai presque sept ans. Un film très marquant. Je me souviens de Pâris et de la belle Hélène et d'une jeune fille qui dit « c'est elle, c'est Hélène de Troie », de la guerre entre les différents clans. Il y a aussi Pâris qui tue Achille en lui tirant une flèche dans le talon. Je ne comprend pas qu'on puisse mourir de ça. Mais c'est bien fait car ce Achille est un méchant.

30 mars 1956 : Plus de whisky pour Callaghan de Willy Rozier

Un film policier avec des bagnoles, des femmes et des gangsters. Ce Callaghan est un type blond souriant qui fume, donne des coups de poings, parle bien aux femmes et a un air plutôt décontracté. Il boit du whisky mais je ne sais pas ce que c'est.

11 avril 1956 : Davy Crockett, roi des trappeurs (Davy Crockett King of the Wild Frontier) de Norman Foster, avec Fess « Fier » Parker et Buddy Ebsen.

Davy Crockett est déjà un super héros avant même que l'on voit le film. Il y a des livres comme les Albums de la Collection Rose ou un volume de l'Encyclopédie du Timbre, le récit en roman photos dans le Journal de Mickey, etc. Je commence à pouvoir suivre une histoire complète. Et puis il y a la chanson de Tennessee Ernie Ford : la balade de Davy Cockett, reprise en français par Jacques Harden : « Davy, Davy Crockett, l'homme qui n'a jamais peur, etc ». Ce Davy Crockett est beau, grand, généreux, fort et courageuix. C'est un héros formidable. Et puis il a un costume à franges et une toque de fourrure avec une queue très originale. J'aime bien aussi George Russel son compagon, qui porte un costume à franges aussi et un chapeau de « cowboy » à la place de la toque. Je me souviens du combat héroïque contre les soldats de l'armée mexicaine qui escaladent les murs du Fort Alamo à la fin du film. L'acteur qui joue Crockett s'appelle Fess Parker. Mais Alain m'explique qu'on lui a changé son nom par Fier Parker, parce « Fess » ne passerait pas en France, ca ressemble trop à « fesse », ce serait ridicule.  

A la suite du film mes parents m'achètent (pour mes sept ans) une panoplie de Davy Crockett. Je suis très fier de porter ce costume. Depuis Peter Pan et Rob Roy, je n'ai pas connu de tel héros qui enthousiasme ma vie. Un jour que je porte le chapeau de fourrure à queue devant la laverie de la place Gustave Toudouze, et  à la suite d'une dispute avec un petit garçon, plus grand que moi, celui-ci me vole le chapeau et l'emporte chez lui. C'est horrible. Je vais voir ma mère puis mon père pour qu'ils fassent quelque chose. Mais le garçon a disparu. Lorsqu'on le revoit enfin, il veut qu'on le dédommage des jouets que je lui ai cassés (un râteau et une pelle en plastique que j'estimais être à moi et qu'il voulait me prendre). Après des négociations entre ce garçon et mon père qui durent plusieurs jours, il rend enfin mon chapeau contre de l'argent.

Cette histoire va me faire du mal pendant longtemps, car j'ai l'impression désagréable d'avoir été dépossédé d'une partie de moi-même. Ce chapeau représentait quelque chose de très important dans ma vie :   comme si le noble Davy Crockett, mon personnage imaginaire, avait été sali par ce « vilain » voyou bien réel, celui-là ; un garçon quelconque et brutal, sorti de notre vie quotidienne, décidemment bien triste au regard de celle que me procuraient mes héros de fiction. Quant à mon père, en rachetant ce jouet une deuxième fois, il se faisait avoir et cédait sans doute à un caprice. Bref, cette histoire n'est pas glorieuse. La toque de fourrure tombera un jour dans un pot de peinture fraîche et il faudra alors la jeter.

Quelquefois Alain va au cinéma sans moi. Voici trois films dont il m'a parlé et que j'aurais voulu voir :

25 avril 1952 : O.K. Néron (O.K. Nerone) de Mario Soldati avec Gino Cervi et Silvana Pampanini.

Alain me raconte que c'est l'histoire de deux marins américains qui se retrouvent transportés à l'époque de l'empire romain. Ainsi il est possible de voyager dans le temps.

4 mai 1954  : La Légende de l'épée magique (The Golden Blade) de Nathan Juran, avec Rock Hudson.

Peu de souvenirs sur l'histoire de ce film si ce n'est l'association « épée » et « magique » qui permet de faire rêver.

1 er juillet 1955 : Le Grand chef (Chief Crazy Horse) de George Sherman avec Victor Mature.

Pour le Grand Chef , je l'ai raté, car je crois que j'étais malade. Après l'avoir vu (à la Cigale), Alain m'en parle avec passion : c'est une histoire d'indiens et Victor Mature que j'avais déjà vu dans L'Egyptien , y est formidable. Il me donne des regrets. Le « Grand chef meurt à la fin ». Ce film va rester emblématique de la supériorité que mon frère a sur moi.

 

 

Corfou Club Méditerrannée

Corfou en Grèce, été 1956, mes premières vacances avec ma mère et Alain au Club Méditérannée

Juillet 1956 : Vacances au Club Méditerranée dans l'île de Corfou en Grèce avec ma mère et Alain. Départ en train de La gare de Lyon. Nous roulons toute la nuit avec une locomotive à vapeur. Je me souviens de la différence entre les wagons français et italiens. Les inscriptions sur les plaques métalliques sont en italien : « caldo, freddo, etc ». Je découvre pour la première fois une langue étrangère. Pendant le voyage, plusieurs escales. Promenade à Turin sous des arcades près de la gare. A Rome nous allons à la Fontaine de Trevi, on me dit qu'il faut lancer une pièce et faire un voeu. A Pompeï, on visite les ruines et j'apprend que c'est une ancienne ville détruite par une irruption du volcan le Vésuve, situé tout prêt. Je suis impressionné par les cadavres pétrifiés des habitants retrouvés dans les ruines. Je cours après les lézards dans les ruelles. Quelques souvenirs du port de Brindisi avant la traversée. Sur le bateau, je m'endors dans un canot pneumatique. Arrivée le matin dans le port. Nous prenons un bateau plus petit, un caïque, qui nous emmène au village du Club.

Corfou Club Méditerrannée

Le ponton de débarquement au village du Club Méditerranée dans les années 1950

Emerveillement à l'arrivée avec l'accueil par les GM (gentils membres) et GO (gentils organisateurs) : musique tahitienne, colliers de fleurs   et embrassades sur le débarcadère. Il fait chaud, mes vêtements parisiens me collent à la peau. Nous logeons dans une case et dormons sur des lits de camp. Je demande à ma mère si je peux mettre en maillot de bain. Le village du club est planté d'oliviers, de nouveaux arbres pour moi. Leur forme tortueuse les rend facilement accessibles, et je n'arrête pas de vouloir les escalader.

Corfou Club Méditerrannée

Corfou, village du Club Méditerranée dans les années 1950. Le bar : vue vers la plage.

Corfou Club Méditerrannée

Corfou, le ponton de débarquement au village du Méditerranée dans les années 1950, vue depuis le bar.

Corfou, Club Méditerranée, 1957

Corfou en 1957, les oliviers et les bateaux, photo prise par mon père Robert Segura.

La chef de village s'appelle Didy (pour Judith), c'est la soeur de Gérard Blitz, le fondateur du Club Méditerranée : elle a une fille Clarita, une jolie brune, et un fils Yves, enfants de son premier mari Mario Lewis. Son mari ou compagnon actuel, Jean Mahu, est un type dynamique qui a une Jeep. Didy nous prend en affection. Un jour elle me dit qu'elle a rêvé de mon père (qui n'est pas venu avec nous à Corfou). Didy ne veut pas que je monte aux arbres et me menace plusieurs fois de faire venir un avion pour me ramener en France. Je suis sensible à l'autorité de cette femme, qui est à la fois gentille et sévère.

Corfou Club Méditerrannée

Corfou, village du Club Méditerranée dans les années 1950. Cases d'habitation dans l'oliveraie .

Corfou Club Méditerrannée

Corfou, village du Club Méditerranée dans les années 1950. Partie de pétanque devant le bar. Un petit garçon qui me ressemble… et les oliviers que j'escaladais.

 

Quelquefois nous allons à la ville de Corfou en caïque pour faire des emplettes. On m'achète un calot traditionnel à long pompon des gardes grecs et d'autres souvenirs. Les gardes portent ce calot et une espèce de jupette qui leur donne un air comique. Nous visitons un château, résidence royale ?, et je me souviens du côté vieillot des lavabos. Un jour, Alain et moi avions raté le caïque de retour, et le mari de Didy nous ayant trouvé sur le quai en train de pleurer nous a ramené au village dans sa Jeep.

Je fais la connaissance d'une petite fille de mon âge et nous nous montrons nos sexes. Elle me regarde faire pipi. Je croise son regard et cela me gêne. Dans la case, elle enlève sa culotte écarte ses jambes et je découvre l'intérieur de son vagin, cela ne me plait pas et me dégoûte. Je crois que nous ne sommes contents ni l'un ni l'autre de ce que nous venons de faire.

 

 

Le Chambon sur Lignon (Haute-Loire)

Le Chambon sur Lignon (Haute-Loire) où je passais le reste de mes vacances d'été de 1956 dans une grande pension pour enfants comme celle-ci : la Maison de Tante Soly.

 

Août 1956 : Mes parents m'envoient dans une colonie dans une grande maison à « Chambon-sur-Lignon » (Haute-Loire) dans le Massif Central. C'est la deuxième fois, après Colpo, que je me trouve dans une collectivité d'enfants. Mes parents m'ont fait voyager seul dans le train sous la surveillance du contrôleur. Il y a un changement à Saint-Etienne où je dois prendre un plus petit train de deux ou trois wagons pour Chambon.

Pendant le voyage, en jouant avec mon ticket, je le laisse glisser dans l'interstice de la fenêtre du compartiment. Je me fais gronder par le contrôleur.

A l'arrivée on m'amène dans la colonie tenue par un couple qu'on appelle Oncle ----- et Tante -------. On me présente à un groupe d'enfants, et comme j'ai les cheveux un peu longs, certains demandent si je suis une fille ? Parmi les enfants, il y a une fille assez jolie un peu grande qui se moque de moi. Je la défie en la regardant droit dans les yeux et en croisant les bras. Elle m'imite et cherche à me ridiculiser devant les autres.

Le jour même on m'emmène chez le coiffeur du bourg et je reprend une silhouette de garçon.

Le soir je me couche dans un dortoir avec d'autres enfants. Mes jambes trop longues heurtent le fond du lit. C'est curieux comment ils font les lits ici avec un seul drap qu'ils replient vers le haut, cela m'oblige à replier les jambes. C'est très inconfortable. Le lendemain matin, fous rires dans le dortoir, j'apprend par un moniteur que mes voisins de chambre m'ont fait mon lit en « portefeuille ».

Nous faisons tous les jours des promenades dans la nature. Les alentours sont montagneux et boisés. Nous empruntons des chemins de randonnée. Un jour, nous franchissions un cours d'eau en file indienne, je trébuche, tombe dans l'eau. Mes vêtements sont complètement mouillés et une petite fille me prête une tunique à pois qui rappelle les barboteuses de bébé pour pouvoir continuer la promenade.

Un autre jour, on aperçoit dans le ciel un objet brillant fixe. Est-ce une soucoupe volante ? Attroupement de tout notre groupe d'enfants, les yeux braqués vers le ciel. Oncle ----- va chercher sa lunette astronomique. On parle d'un ballon sonde.

Il y a un petit groupe de garçons avec un « chef », qui semble avoir plus d'autorité que les autres. J'apprend par l'un d'entre eux, -------, l'un des plus jeunes, qu'ils ont une cabane cachée dans les bois. Il m'amène pour la voir. Un peu plus tard, le « chef » me demande si ------- m'a montré la cabane. J'ai peur et je dis oui. Les garçons m'emmènent dans la forêt, près de la cabane où ils retiennent ------- prisonnier. Ils lui disent que j'ai avoué que c'est bien lui qui m'a montré la cabane et commencent à le torturer avec des ficelles autour des poignets. J'ai à la fois peur et me sens coupable de l'avoir dénoncé. « Toi non, on ne torturera pas parce que ce n'est pas de ta faute, c'est lui le coupable » me dit le « chef ». Le visage de ------- se tord de douleur, bien que je me demande s'il ne joue pas un peu la comédie. En tous cas, Je crois qu'après ce que j'ai vu, je fais maintenant un peu partie de leur bande.

Les filles forment un groupe aussi avec une en particulier, ======, plus grande, blonde et plus belle, qui attire tous les regards de ses copines, qu'elle semble diriger, mais aussi ceux des garçons qu'elle cherche visiblement à séduire.

Un jour des cris viennent de la cage d'escalier. Des garçons ont, en se cachant, surpris des filles dont ====== se déshabiller pour les voir nues. Je connais l'un d'entre eux, c'est le frère de la fille qui m'a prêté la barboteuse. Tante ------ arrive et pique une colère. Pour punir les deux garçons, elle appelle tous les enfants. Pour punir les garçons coupables, elle les oblige à se mettre complètement nus devant tout le monde. Les filles qui ont été surprises nues sont devant et je les vois regarder les deux garçons se déshabiller. Lorsqu'ils enlèvent leur culotte, celui que je connais a l'air de rire. Je suis gêné pour lui qu'il puisse montrer sa « bibiche » (comme on disait chez moi) à des filles. J'ai honte et ne voudrais pas être à leur place. Je regarde la blonde, et me dis que j'aurais quand même bien voulu la voir nue moi- aussi. Mais le prix à payer est très cher, tout de même. Quand les deux garçons sont complètement nus et qu'on les eu bien regardés, Tante ------ leur dit «  voilà ce que c'est de vouloir regarder les petites filles ». Puis ils remettent leurs vêtements. Un peu plus tard je parle au garçon que je connaissais et lui dis : « comment tu as fait pour te mettre tout nu comme ça devant les filles ? ». « Oh j'ai l'habitude avec ma soeur ». Tout d'un coup j'ai envie d'avoir une soeur comme la fille à la barboteuse.

 

decembre 1956 Jean Segura 5 rue Milton

Année scolaire 1956-1957, école communale de garçons, 5 rue Milton, Paris 9e, classe de CE 2, Jean Segura au premier rang, quatrième en partant de la gauche.

Photo de classe Traversac, décembre 1956

 

 

Septembre 1956 : Fin des vacances à La Varenne avant la rentrée des classes.

Ecole communale 5 rue Milton, avec son entrée toujours rue Hyppolyte Lebas. Cours élémentaire 2, que nous appelons 5e.. Notre classe est au premier (ou deuxième) étage. Je suis déçu car je ne retrouve pas Melle Benten que j’aimais tant. Nous avons un nouveau maître. Un homme, c’est nouveau pour moi et sans doute me cause quelque trouble. La féminité me manque sans doute. De plus, pas le temps de fixer mon affection sur une personne donnée. Car je ne me souviens plus très bien à quel rythme, mais nous avons changé trois fois de maître. L’un d’entre eux s’appelait Leroy ou Roy, un grand homme en complet  veston avec les cheveux coiffés en arrière et des yeux clairs. Son regard lourd me mettait mal à l’aise. Mes ennuis scolaires ont commencé dans cette classe. Je devais être assez indiscipliné. Je reçois mes premières punitions, la plupart du temps des centaines de lignes du genre « je ne bavarderais plus en classe »,  ou bien des conjugaisons : « je ne bavarde pas, tu ne bavardes pas, il ne bavarde pas, etc ». L’ambiance se détériore. Un jour Monsieur Leroy me demande de rester après la classe, il me menace de me donner une fessée déculottée, il commence à ouvrir une des fenêtres qui donne sur la cour. On entend les cris des enfants qui jouent pendant la récréation. Il me dit qu’il va me donner cette fessée au bord de la fenêtre afin que tout le monde puisse voir. Je suis terrorisé, et il cherche à m’attraper. J’ai sept ans et demi et arrive à me dégager de son étreinte en hurlant. Il ferme la fenêtre et me dit que si je continue (quoi ?) il finira par le faire.  Plus aucun autre souvenir de cette année horrible.
Le soir je vais jouer à la laverie, ou bien dans le bureau de mon père. Je vais aussi dans la petite pièce derrière, qui donne sur la cour, là où Pierre travaille. Il y a des outils, des caisses pleines d’objets que je ne connais pas avec du métal, du verre. J’apprends le mot catadioptre : un petit objet rond en verre rouge. Il y a aussi des ressorts qui servent à fabriquer des rétroviseurs, et puis toutes sortes de pièces détachées : vis, boulons, fiches électriques, câbles, etc. La pièce est composée de plusieurs tables en bois sur lesquelles Pierre fait des choses que je ne comprend pas. Ca sent la graisse et la limaille de fer qui traine un peu partout sur ces tables et sur le plancher. Il y a aussi plein d’étagères en bois patiné de gras et de métal. Les grosses caisses en bois sont elles aussi imprégnées de ce mélange. Lorsque je joue dans cet espace à tripoter les objets ou à poser mes mains sur ces tables graisseuses, elles finissent par se salir en s’enduisant d’une fine pellicule noirâtre. Cela contraste avec le blanc qui règne dans la laverie de ma mère à côté.

Jean Segura Novembre 1956


Année scolaire 1956-1957, école communale de garçons, 5 rue Milton, Paris 9e, classe de CE 2, Jean Segura. Portrait Traversac, novembre 1956

En plus des deux pièces qui constituent le local unique dans lequel mon père et Pierre passent leurs journées, il y a un garage, au 14 rue d’Aumale, situé également dans le 9e arrondissement. Je vais découvrir ce lieu lorsque j’accompagne quelquefois mon père qui y gare sa voiture tous les soirs. Nous entrons de la rue par un grand porche vouté, passons sous un hall puis arrivons dans une cour dans laquelle sont alignées sur la gauche plusieurs portes en bois à double battants. Mon père s’arrête devant celle située vers le milieu. Une fois la porte ouverte, il entre enfin sa voiture dans un local sale et mal éclairé par une seule ampoule au plafond et dans lequel se trouve déjà quelques caisses en bois, comme celles de l’atelier de Pierre place Gustave Toudouze, des cartons, quelques planches, etc. A côté du garage proprement dit, il y a un autre petit réduit d’environ 1,50 m de large dans quel sont entassées d’autres caisses. Derrière des chiffons, mon père dissimule un petit coffre fort dans lequel il range quelques papiers et des titres (mot dont je ne comprendrai le sens que plus tard).

Le voyage rue d’Aumale a quelque chose de mystérieux. Il se fait souvent le soir, j’aime y accompagner mon père, quelquefois lorsque nous rentrons de La Varenne le dimanche après 20 h. Il y a ce rituel d’ouverture des portes, assez compliqué, qu’il fallait refermer ensuite, l’ambiance sombre et sale de ce lieu, la cour, le hall et le porche monumental de cet immeuble austère, très différent de celui dans lequel nous habitons. Et puis le retour à la maison, rue Notre-Dame de Lorette. Je tiens la main de mon père, je n’ai pas peur, mais un peu tout de même dans cette rue déserte du soir.Le trottoir est fait de gandes dalles rectangulaires juxtaposées : je m'amuse à marcher bien à l'intérieur des dalles, m'abstenant de recouvrir les joints de séparation avec mes pieds. Nous tournons à gauche dans la rue Saint-Georges et nous passons devant le théâtre dont la petite porte sur le côté gauche m’intrigue. Puis c’est la place Saint-Georges avec la statue de Gavarni, dans la pénombre de la nuit, un peu mystérieuse et effrayante, éclairée par les réverbères à gaz de la place. Enfin la rue où notre immeuble nous attend, j’ai hâte d’y être et de monter les escaliers pour retrouver ma mère et mon frère Alain.


Lorsque nous allons rue d’Aumale de jour, c’est complètement différent : l’immeuble paraît plus accueillant, des oiseaux chantent dans les arbres des cours intérieures adjacentes. Les portes en bois des garages et les pavés de la cour forment un décor désuet qui me charme. Mon père me dit un jour que ce sont d’anciennes écuries. J’essaie de m’imaginer des chevaux piétinant dans cette cour, à la place des voitures. La notion d’un temps ancien se forme dans mon esprit. Les chevaux, pas d’automobiles, comme le laitier de La Varenne. Le XIXe siècle commence à exister à travers ses vestiges. Je compare l’ancien et le moderne. Ancienne, la statue de Gavarni, modernes, les machines  à laver dans la laverie de ma mère.

1957 : Vacances au Club Méditerranée : Ile d'Elbe, près du bourg de Marina di Campo. Avec maman et Alain. Il y a également les amies de maman Rosy Aziza et sa soeur Angèle Lahana. Voyage par le train depuis la gare de Lyon : rendez vous au café des Cadrans, en face de la gare où la GO convoyeuse va s'occuper de tous les voyageurs jusqu'à destination.  

La traversée en bateau se fait entre les ports de Civitavecchia (côte italienne) et Portoferraio (Isola d'Elba), et enfin un car nous amène jusqu'au village. La chef de village est Didy Blitz que nous connaissons bien puisqu'elle dirigeait le village de Corfou l'année précédente. Elle nous prend encore plus en affection, comme si nous étions un peu ses enfants. Il y a toujours ses enfants Clarita et Yves.

Belles vacances assombries par une dispute qui m'oppose à mon frère Alain et une bande d'enfants. De désespoir, je me jette sur une petite fille et la mors très sévèrement au bras. Il y a aussi une chienne berger allemand avec qui je m'amuse et que j'appelle Zazou. De temps en temps Zazou s'énerve, devient agressive et commence à me mordre. Elle me fait très peur.   Des adultes, dont le père de la petite fille que j'ai mordue et une autre femme, prennent ma défense en criant sur elle « via ! ». Cette chienne ne comprend que l'italien. "Via "veut dire vas-t-en.

Alain et Jean Segura

Alain Segura en Jean Segura en été 1957 au Club Méditerranée, village de l'ïle d'Elbe, près de Marina di Campo. A droite, la chef de village Didy Blitz fait les animations de l'après-midi pour les enfants.

Alain Segura Didy Blitz

Alain Segura et la chef de village Didy Blitz en été 1957 au Club Méditerranée, l'ïle d'Elbe

Un jour je me promène dans le village et ouvre la porte d'une case ou d'un tente : il y a un jeune garçon assis sur un lit de camp et à côté de lui une fille plus âgée, avec une peau rose un peu grassouillette. Elle a des cheveux châtains clairs longs et crépus, elle a l'air gai et semblait d'être en train de s'amuser avec ce jeune garçon qui doit être son frère. Mais mon regard est immédiatement attiré vers son torse car elle ne porte pas de soutien gorge et je découvre dans leur nudité ses deux gros seins gonflés et légèrement pendant, et je vois les deux mamelons rosés. J'assiste à quelque chose qui me paraît impossible. Je comprend aussi que je dérange, je croise le regard de cet étrange couple, j'ai honte et je repars très vite. Que faisaient ensemble cette jeune fille et ce garçon à peine plus vieux que moi. Lui pouvait voir ses seins, comme si c'était une chose naturelle. Je reste marqué par cette scène, mais n'en parle à personne.

Ma mère et Rosy vont souvent à Marina di Campo faire des courses et rapportent des souvenirs : chapeaux, robes, bijoux. J'ai un nouveau maillot de bain rouge. Je fais de la nage sous-marine avec un masque en apnée mais ne sais pas encore nager en surface.

Dolly Jean Segura Elbe 1957

Eté 1957, Club Méditerranée, l'ïle d'Elbe. Les soirées animées autour de la piste de danse. A droite de l'arbre, 3e et 4e personnes : Dolly Segura et Jean Segura.

Tous les soirs il y a des animations sur la piste de danse. Il y aussi   les soirées d'adieu la veille des départs hebdomadaires des GM qui quittent le village, et avant l'arrivée des nouveaux. Lors d'une de ces soirées, quelqu'un a l'idée de me déguiser en « petit grand méchant loup » qui fait peur à un « énorme petit chaperon rouge » interprété par un homme adulte obèse. La scène est cocasse, je n'arrête pas de dire au chaperon rouge : « allez ramène ta fraise », ce qui fait rire tout le monde. Une (ou deux) semaine(s) plus tard, on me déguise en clown avec une veste trop grande, une grosse moustache, des lunettes, un grand parapluie et un chapeau melon clair. Je rentre sur la piste, je me tourne, je virevolte et je dois dire des choses drôles qu'on m'a demandé de réciter, et peut-être que même que j'improvise aussi. En tous les cas, je dois être irrésistible car tout le public rigole, rigole, et je crois que moi aussi je rigole dans mes vêtements trop grands. Cette performance me marque beaucoup, et je crois avoir trouvé ma vocation : devenir clown. Puis c'est notre tour de partir.

Jean Segura Clown Didy Blitz

Eté 1957, Club Méditerranée, l'ïle d'Elbe. Jean Segura en clown sur la piste de danse. Sur la scène, la chef de village Didy Blitz s'esclaffe. A sa gauche Victor Bourlas.

Je pleure dans le bateau du retour : malgré mes malheurs, j'ai été heureux à l'Ile d'Elbe. Je voudrais tellement ne jamais partir.

Je repars seul en Suisse à Leysin Hôtel des Chamoix, transformé en centre aéré pour les enfants et où je vais passer la seconde partie de mes vacances d'été. C'est le même hôtel où j'étais avec maman l'hiver précédent. Je retrouve mon grand frère André qui s'est fait engagé comme GO. C'est curieux de le voir dans ce cadre. Mais je ne me souviens pas qu'il se soit spécialement occupé de moi. Il était souvent avec des jeunes femmes. L'une d'elle s'appelait Bernadette et je me souviens qu'elle m'aimait bien.

Il y a aussi des soirées animées, et je voudrais renouveler mon expérience récente de l'Ile d'Elbe en proposant de me déguiser en clown.

La composition de mon déguisement de clown va dépendre des accessoires que l’on me propose en coulisse, et la tenue n’est évidemment pas identique à celle de la soirée sur l’Île d’Elbe, mais cela fonctionne quand même, avec comme chapeau une grande passoire. Mais il me faut un maquillage, et personne n’a cela sous la main. C’est alors que je suggère de me barbouiller le visage de pâte dentifrice. Et Bernadette (ou bien est-ce une autre monitrice ?) se charge de m’en enduire le visage jusqu’à ce qu’il devienne totalement blanc. Encore quelques traits de crayon autour des yeux et de la bouche, et je suis prêt à monter en scène pour faire mes gags. Quelqu’un me prend en photo.

Jean Segura 1957

Jean Segura déguisé en clown à Leysin (Suisse), Hôtel du Club Méditérranée Les Chamois, en septembre 1957.

C’est alors que mon visage commence à me picoter comme un cataplasme. J’attaque mon numéro de blagues, les gens rient, et moi je commence à pleurer, car la peau me brûle de plus en plus. André est là, mais je ne me souviens pas spécialement de l’avoir vu rire. Sans doute se rend-t-il compte que quelque chose ne va pas. Je suis vite obligé d’arrêter mon numéro de clown devenu triste malgré moi. Je sors en larmes de la scène rejoint pas plusieurs adultes, dont André et Bernadette. « La peau me brûle, enlevez-moi le dentifrice ! » et les filles commencent à me laver le visage avec un gant de toilette. André se met alors en colère contre la pauvre monitrice l’accusant de n’avoir pas réfléchi une seule seconde « du dentifrice ! mais qu’est-ce qui t’a pris, tu es devenue  folle ? » - « mais c’est Jeannot qui m’a demandé de lui mettre » répond la pauvre fille bien ennuyée. André s’adressant à elle «  tu ne sais donc pas que ce n’est pas fait pour ça ? Pas étonnant que la peau lui brûle maintenant ». Quel regret d’avoir ainsi raté mon numéro, de voir André en fureur, et surtout d’avoir provoqué l’engueulade de la monitrice, pourtant si gentille avec moi.
J’ai appris ce jour-là qu’on ne revit pas forcément deux fois les mêmes plaisirs, à quelques jours d’intervalle.

Jean Segura 1957

Jean Segura déguisé en clown à Leysin (Suisse) en septembre 1957. Le maquillage à base de pâte dentrifrice à même la peau commence à me brûler et ne va pas tarder à me faire pleurer.

 

Dans la journée les moniteurs nous emmènent quelquefois en promenade derrière l’Hôtel Les Chamois sur le plateau de Prafandaz que je prononce « Profondasse ». J’avais connu ce plateau recouvert de neige en décembre 1956 lorsque j’étais parti en vacances d’hiver avec ma mère. En été, c’est une vaste et magnifique colline vallonnée, toute en prairie et entourée de sapins ; les skieurs ont déserté les lieux, remplacés par des randonneurs et des cavaliers. Les équipements de remontée mécanique sont  immobiles et semblent inutiles. J’apprendrai plus tard par ma mère qu’André aimait s’y promener la nuit en montant des chevaux à cru. J’imagine ce personnage romantique, galopant la nuit dans l’herbe tendre au clair de lune.

Nous ne dépassons jamais ce qui semble être l’extrémité de ce plateau dont la pente à l’ouest descend de façon vertigineuse vers le Lac Léman. La vue est imprenable depuis ce promontoire des Alpes Suisses, comme si nous étions dans un avion. Je me souviens qu’en hiver, une impressionnante mer de nuages, insolite à mes yeux, nous empêchait de voir jusqu’on fond de la vallée. En été le voile cotonneux, tel un rideau opaque horizontal, s’est évanoui et nous met en contact direct avec un paysage abyssal et grandiose. Tout en bas, le tracé du Lac est très net et on aperçoit aussi la petite ville d’Aigle d’où part le train à crémaillère qui monte vers Leysin. Au-dessus et autour du plateau, le restaurant d’altitude, où l’on venait se réchauffer ma mère et moi en hiver, et quelques belles fermes construites de vielles planches, sont les seules bâtisses clairsemées dans ce paysage. Leurs toits, blancs de neige en hiver, laissent apparaître maintenant leurs tuiles d’ardoise rustique. L’odeur de fumier qui transpire autour d'une de ces fermes me pique le nez, laissant deviner une présence animale étrangère à l’enfant de la ville que je suis.

 

 

 

 

 

 

Une des rares photos des cinq membres de la famille Segura rassemblée