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Jean SEGURA                                                                                    

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Les Chevaux de Marly dans la mire de contôle technique de la RTF

14 novembre 2009

Une première version de cet article a été publiée dans Inamag, "Le magazine de l'image et du son n° 7", Septembre 1998 - INA.

IVème et Vème République : Cinquante ans d'audiovisuel en France

par Jean SEGURA

avec Cécile Margain

De de Gaulle à Chirac, du noir et blanc à la couleur, de la télévision hertzienne au câble et au satellite, du monopole des ondes à la pluralité des chaînes TV et de la bande FM, la Ve République cohabite depuis quarante avec un paysage audiovisuel qui aura été à la fois sa caisse de résonance et son miroir. Chronologie et point de vue parfois acide d'un expert : Leo Scheer.

Sous la IVè République (1945-1958)

  • 1945. Une ordonnance rétablit le monopole absolu de l'Etat confié à la Radiodiffusion française (RDF).

  • 1947. Sous l'égide de la Radiodiffusion française (RDF), la programmation régulière d'émissions de télévision commence depuis les studios de la rue Cognacq-Jay.

  • 1948. Un décret sur l'adoption de norme 819 lignes (procédé mis au point par Henri de France de la Compagnie Française de Télévision) est signé le 20 novembre 1948 par François Mitterrand, Secrétaire d'Etat à l'Information.
  • 1949. La RDF devient la Radiodiffusion-Télévision française (RTF) qui, très centralisée, reste sous la dépendance des gouvernements successifs.

    Le standard noir et blanc 441 lignes, maintenu jusqu'en 1956, est doublé par le 819 lignes . Première taxe sur les récepteurs : 3000 Francs (anciens).
  • 1950. Premier kinéscope (par Debrie et Radio Industrie) qui permet de filmer l'écran de télévision et de conserver une trace des émissions.
  • 1954. Débuts de l'Eurovision
  • 1956.  Invention du magnétoscope professionnel par la société américaine Ampex suivie de son apparition en Europe en 1958 dans les studios.
  • 1957. La RTF reprend les studios Gaumont aux Buttes-Chaumont.

« La Minerve», première mire en 441 lignes de la Télévision Français à partir du 22 juillet 1949, procédé qui sera maintenu jusqu'en 1956

Les débuts de l'Eurovision en 1954

Charles de Gaulle (1958-1969)

  • 1958. Première apparition du général de Gaulle au journal télévisé le 16 juin.
  • 1959 . Ordonnance de 1959 qui transforme la RTF en établissement public.  Une ligne directe relie le bureau du ministre de l'Information à celui du directeur de la Télévision avenue de Friedland à Paris. Lancement du magazine d'actualité de Pierre Lazareff Cinq colonnes à la une. Mise au point du procédé "séquentiel couleur avec mémoire", ou SECAM, (625 lignes, 25 images/s) de Henri de France.

Horloge ORTF

La célèbre horloge de la télévision française dans les années 1960

  • 1961. Présentation à la presse du SECAM en même temps que son concurrent américain "National Television System Commitee", ou NTSC (525 lignes, 30 images/s).
  • 29 janvier, dans le téléfilm L'Exécution de Maurice Cazeneuve, d'après le roman de Dominique Ponchardier Les Pavés de l'enfer, l'actrice Nicole Paquin, future chanteuse yéyé, est vue nue de dos pendant quelques secondes.

  • 1962. Mise en orbite du premier satellite de télécommunication transatlantique américain Telstar et transmission des premières images de Mondiovision entre les "radômes" d'Andover aux Etats-Unis et de Pleumeur-Bodou en Bretagne. Robert Bordaz, conseiller d'état, devient directeur général de la Radiodiffusion-télévision française (RTF)

La RTF devient l'ORTF en 1964.

Le satellite de télécommunication transatlantique Telstar transmet les premières images en Mondiovision entre lesEtats-Unis et la France en 1962.

  • 1963. Alain Peyrefitte, Ministre de l'Information, crée le Service de liaison et d'information interministériel (SLII) organisme de censure qui s'exerce essentiellement en direction de la télévision et de la radio. Inauguration de la Maison de la Radio à Paris
  • 1964. Vote d'une nouvelle loi sur la radio et télévision désormais placées sous la tutelle (et non plus l'autorité) du ministre de l'Information. La RTF devient Office de Radiodiffusion Télévision Française (ORTF). Naissance de la deuxième chaîne (noir et blanc, 625 lignes) le 18 avril. Le 23 juillet, Jacques-Bernard Dupont, inspecteur des finances, directeur adjoint de la RTF, devient le premier directeur général de l'ORTF. Premières liaisons Japon Europe avec la NHK. Les premiers magnétoscopes grand public Philips (à deux têtes tournantes) sont vendus 15000 Francs nouveaux (ce qui à l'époque était aussi cher qu'une voiture). La présentatrice de l'émission Télé Dimanche Noëlle Noblecourt est renvoyée pour avoir montré ses genoux à l'antenne.

Mire 2e Chaîne 1964

Mire ORTF de la 2e chaîne qui nait le 18 avril 1964 en noir et blanc 625 lignes

  • 1965. Claude Contamine, directeur général adjoint de l'ORTF chargé de la télévision (et ex directeur du cabinet du ministre de l'Information) , fait arrêter la série La Caméra explore le temps, l'une des émissions les plus appréciées par les téléspectateurs qui manifestent leur mécontement à l'égard de cette décision autoritaire. Première campagne des élections présidentielles à la télévision : de Gaulle interviewé par Michel Droit et premières apparitions sur le petit écran du candidat de l'opposition François Mitterrand. Première retransmission de programmes couleur par le satellite russe Molnya entre Paris et Moscou par le procédé SECAM. 
  • 1966. Face à face, émission politique en direct de Jean Faran et Igor Barrère. Premiers invités, Guy Mollet, puis Valéry Giscard d'Estaing, Waldeck Rochet, Edgar Faure, etc.
  • 1967. 13 janvier, sur la première chaîne: première comédie musicale (tournée en 35 mm couleur, mais programmée en noir et blanc) produite par l'ORTF : Anna de Pierre Koralnik avec Anna Karina, Jean-Claude Brialy ainsi que Serge Gainsbourg qui signe également la musique et les chansons du film.
  • Lancement de la couleur d'abord en Allemagne avec le procédé "Phase Alternation Line", ou PAL (625 lignes, 25 images/s), de Telefunken, également adopté par la plupart des autres pays européens, puis sur la 2ème chaîne en France avec le procédé SECAM, qu'adopteront les pays de l'Est, ceux de l'Afrique francophone et du Moyen Orient. Les récepteurs couleurs coûtent 5000 Francs et seuls 1500 privilégiés assistent aux premières émissions le 1er octobre 1967.
inauguration télévision couleur 1er octobre 1967 Mire 2e Chaîne couleur

Jacques Bernard Dupont, premier directeur de l'ORTF (à gauche) et Georges Gorse, Ministre de l’Information (du 7 avril 1967 au 31 mai 1968), lors du lancement de la couleur sur la 2e chaîne, le 1er octobre 1967

Mire couleur de la 2e Chaîne

  • 1968. L'ORTF est chargé de la retransmission en Mondiovision des JO de Grenoble dont l'ouverture est diffusée en direct auprès de plus de 600 millions de téléspectateurs dans 32 pays dont les Etats-Unis, l'URSS et le Japon. Apparition des Shadoks, série animée de Jacques Rouxel qui divise la France en deux. Mai 68, grève des personnels de l'ORTF, l'information télévisée est assurée 23 journalistes non grévistes. Discours de de Gaulle le 30 mai.
  • Le 1er Juin, Georges Gorse, Ministre de l’Information depuis le 7 avril 1967 est remplacé par Yves Guénat dans le gouvernement remanié de Georges Pompidou. Après les accords de Grenelle, Jean-Jacques de Bresson est nommé nouveau directeur général de l'ORTF le 6 juin 1968 et succède à ce poste à Jacques-Bernard Dupont.
    Les contestataires de 68 sont limogés, mutés ou mis en "congé spécial" et certaines émissions supprimées dont Cinq colonnes à la une. Disparition du SLII remplacé par le Comité interministériel pour l'information (CII). Apparition de messages publicitaires de marques (textiles, alimentation et électroménager) sur la première chaîne dont la gestion est confiée à la Régie Française de Publicité. Un an après le lancement de la couleur, 200 000 récepteurs ont été vendus contre un million prévu.

 

Affiche contestataire de l'atelier des Beaux-Arts pendant mai 68.

Affiche de l'atelier des Beaux-Arts imprimée pendant mai 68.

Georges Pompidou (1969-1974)

  • 1969. Le nouveau Président et son Premier Ministre Jacques Chaban-Delmas, annoncent une réforme de l'ORTF dont la tutelle est transférée à Matignon alors que le ministère de l'Information est supprimé. Nomination de la commission Paye dont les membres sont chargés de réfléchir et de proposer des changements à apporter à l'Office.
  • Le 21 juillet, les astronautes américains Neil Armstrong et Edwin "Buzz" Aldrin sont les deux premiers hommes à marcher sur Lune, événement retransmis en direct dans le monde entier et en France sur les deux chaînes. Le 8 octobre, les trois astronautes d'Apollo 11 participent aux Dossiers de l'écran d'Armand Jammot devant 4000 invités.
  • La réorganisation de l'ORTF prend forme et les informations des deux chaînes sont confiées à de nouveaux responsables qui ne sont plus sous l'autorité du directeur de la Télévision :  Pierre Desgraupes sur la "Une" et Jacqueline Baudrier sur la "Deux". 85% des émissions de la deuxième chaîne sont diffusés en couleur. Première apparition de Jean Paul Sartre sur le petit écran.
  • 1970. La réforme se poursuit et les programmes des chaînes, mis en concurrence, sont séparés et placés sous l'autorité de leurs deux directeurs : Pierre Sabbagh et Maurice Cazeneuve.
  • L'émission A armes égales, dans laquelle s'affrontent de nombreux hommes politiques de tous bords et animée par Alain Duhamel et André Campana, remplace Face à face. Le rapport de la commission Paye, remis au Premier Ministre, préconise notamment le maintien du monopole public et souligne son hostilité pour les initiatives de télévision privée. Projet Canal 10 de Télé-Monte-Carlo qui propose d'étendre son rayonnement à 70% des foyers français.
  • 1971. Tandis que la publicité arrive officiellement sur la deuxième chaîne, commence à poindre le scandale de la publicité clandestine. Lors de l'émission A armes égales, à la suite d'une coupure dans le commentaire de son film, le journaliste et écrivain Maurice Clavel lance son "Messieurs les censeurs bonsoir!" et claque la porte du studio. Lancement par Philips du premier magnétoscope grand public à cassette.
  • 1972. Jacques Chancel lance l'émission Le Grand Echiquier. Parmi ses premiers invités, Valéry Giscard d'Estaing. Publications des rapports Diligent au Sénat et Le Tac à l'Assemblée Nationale sur la publicité clandestine dénonçant plusieurs émissions, producteurs et animateurs de télévision. Le Service d'observation des programmes (SOP) est créé afin de lutter contre ces pratiques illicites. Jean-Jacques de Bresson est limogé. Un autre scandale éclate, celui du détournement frauduleux du fichier de la redevance de l'ORTF proposé à plusieurs sociétés privées.
  • Nouveau statut pour l'ORTF avec un PDG nommé pour trois ans par le gouvernement. Député de la majorité gaulliste et premier à occuper ce poste, Arthur Conte, nommé le 14 juillet, prend une série de mesures comme la suppression des unités autonomes d'information et dont la responsabilité retourne dans le girond des directeurs de chaînes. Rétablissement du Ministère de l'information sous le gouvernement de Pierre Messmer. Le président Pompidou déclare à la presse "Qu'on le veuille ou non, la télévision est considérée comme la voix de la France, et par les Français et par l'étranger. Et cela impose une certaine réserve".
  • Démarrage le 31 décembre d'une troisième chaîne (en couleur) à inspiration régionale qui est reçue dans une première phase par le quart de la population.

3e Chaîne télévision couleur

Lancement de la 3e chaîne, en couleur le 31 décembre 1972

  • 1973. Création du Haut Conseil de l'Audiovisuel composé de parlementaires et d'experts et présidé par le Premier Ministre dont le rôle est de réfléchir sur quelques un des grands problèmes de l'Office. Le conflit entre le nouveau Ministre de l'Information Philippe Malaud et Arthur Conte, qui souhaite plus d'indépendance, se conclut par un limogeage de ce dernier au profit de Marceau Long, désigné en conseil des ministres le 23 octobre. Jean Philippe Lecat, qui succède à Philippe Malaud, incite le deuxième PDG de l'ORTF à s'engager dans un processus de décentralisation. Le gouvernement lance une première expérience de câblage sur sept villes de France pour y développer des services locaux.

Valéry Giscard d'Estaing (1974- 1981)

  • 1974. Par mesure d'économie d'énergie, pour cause de crise du pétrole, les émissions se terminent à 23 h. Le plan de réforme "Marceau Long" est approuvé par le gouvernement et prévoit la création de six établissements publics, unités fonctionnelles autonomes. Mort du Président Pompidou et nouvelle campagne électorale. Face à Mitterrand au second tour, Giscard sort son estocade devant des millions de téléspectateurs "Vous n'avez pas le monopole du cœur!". Dès l'été, Jacques Chirac, Premier Ministre de Giscard, présente la réforme de l'audiovisuel. La Loi du 7 août 1974 prévoit le démantèlement de l'ORTF en sept entités : trois chaînes (Télévision Française 1, Antenne2 et France-Régions3), la Société Française de Production (SFP), Télédiffusion de France (TDF), Radio France, et l'Institut National de l'Audiovisuel (INA), sociétés dirigées chacune par un président (Pierre Emmanuel à l'INA) et un conseil d'administration. 

  • 1975. Application de la loi du 7 août 1974. Naissance officielle des trois chaînes TF1, A2 et FR3 se mettent en place dans la concurrence. Début de la colorisation de TF1. L'émission quotidienne Tribune libre sur FR3 donne la parole aux associations et aux mouvements politiques non représentés au Parlement. Lancement des magnétoscopes à cassettes japonais Betamax de Sony et Video Home System (VHS) de JVC. Radio verte, première radio libre lancée par Antoine Lefébure avec le soutien de Brice Lalonde et Gilles Deleuze.

RFP_TF1

Logo de la Régie française de publicité sur un écran TF1

  • 1976. Plusieurs émetteurs de TDF sont la cible d'attentats en Bretagne, Corse et Provence. Le réalisateur Jean Christophe Averty se fait inviter à l'Elysée pour y défendre la qualité des programmes.
  • 1977. Apparition du service de télétexte Antiope (Acquisition numérique et télévisualisation d'images organisées en page d'écriture) dans divers magazines. Magazine Mosaïque sur FR3 destiné aux immigrés. Le Président Giscard d'Estaing dialogue en direct sur A2 avec une soixantaine de Français choisis par la SOFRES. Premières expériences de vidéo transmission par la SFP, TDF et les PTT dans cinq villes d'Auvergne. Emission politique Cartes sur table de Jean Pierre Elkabach et Alain Duhamel sur A2.  Conférence internationale de Genève pour l'attribution de fréquences des futurs satellites de télévision.
  • 1978. Mise en chantier des studios de Bry-sur-Marne par la SFP.
  • 1979. Lancement d'Eurosatellite, plan de développement de télévision par satellite entre la France et la RFA.

 

Ci-dessous les sept sociétés issues du démantèlement de l'ORTF

Logo de TF1

Logo d'Antenne 2 par le peintre Georges Mathieu

Logo de FR3

 

Logo de TDF_a2

 

Logo actuel de la SFP

Logo de TDF

Logo de l'INA

 

 

 

Logo de Radio France

 

François Mitterrand (1981-1995)

  • 1981. Face à face entre Giscard et Mitterrand sur les trois chaînes devant plus de 25 millions de téléspectateurs sous le contrôle de deux réalisateurs, Gérard Herzog et Serge Moatti, et animé par Jean Boissonat et Michèle Cotta. Après la victoire de Mitterrand, des journalistes "marqués" trop près par le pouvoir sortant sont conspués à la Bastille. Intronisation de Mitterrand au Panthéon le 21 mai filmé par Serge Moatti.
  • Georges Fillioud, nouveau ministre de la Communication se refuse à "toute chasse aux sorcières" dans l'audiovisuel, mais favorise finalement la démission des présidents de chaînes et de la SFP qui sont remplacés immédiatement. La ligne téléphonique reliant la rue Cognacq-Jay  à l'Elysée est supprimée. Le gouvernement de Pierre Mauroy nomme la commission Moinot chargée de réfléchir sur les orientations d'une nouvelle loi sur l'audiovisuel. Nomination de Joël Le Tac qui remplace Gabriel de Broglie à la présidence de l'INA et de Michèle Cotta à Radio France. Dans les chaînes, les directeurs de l'information (en 1982 seulement à TF1) et les directeurs des programmes sont remplacés.
  • 1982. Annonce du lancement d'une quatrième chaîne payante empruntant l'ancien réseau hertzien VHF 819 lignes, sur lequel émet encore TF1. Création de la Haute Autorité présidée par Michèle Cotta dont les neuf membres sont nommés à parité par le Président de la République, le Président de l'Assemblée Nationale et le Président du Sénat. La Haute Autorité nomme les présidents de chaînes. Lancement du plan câble par le ministre des PTT qui prévoit le raccordement de 6 millions de foyers en 1992.
  • Naissance de "l'audimat" avec l'implantation de l'audimètre dans 650 foyers, opération mise en place par le Centre d'études d'opinion (CEO). Lancement de l'émission politique L'Heure de Véritépar François Henri de Virieu, Alain Duhamel, Albert du Roy et Jean-Marie Colombani (qui va durer jusqu'en 1995). Bernard Langlois, présentateur du JT d'A2, est sanctionné pour son commentaire sur la mort de Grâce de Monaco. Loi du 29 juillet qui autorise sous certaines conditions l'existence de radio locales privées.
  • 1983. Décentralisation d'initiative régionale: douze stations de FR3 diffusent quotidiennement trois heures de leurs propres programmes. Lancement du magazine Résistances sur les droits de l'homme présenté par Bernard Langlois puis par Noël Mamère. Arrêt des dernières émissions de TF1 en 819 lignes le 19 juillet.
  • 1984. Naissance de la chaîne francophone par satellite TV5 qui se nourrit des programmes des trois chaînes françaises plus la RTBF belge et la TSR de Suisse Romande.
  • Canal+, chaîne payante et cryptée, commence à émettre le 4 novembre avec 186000 abonnés. Première chaîne privée dans le paysage audiovisuel français, Canal+ a comme  investisseurs principaux Havas (45%), Société Générale (20%), Compagnie Générale de Eaux (15%) et Merlin Immobilier (10%). Adoption par le gouvernement de la norme haute définition D2-Mac Paquets qui doit remplacer à terme le SECAM.
  • 1985. Annonce par Mitterrand de la création prochaine de nouvelles chaînes de télévision privée. L'avocat Jean Denis Bredin est chargé de rédiger un rapport sur l'ouverture de "l'espace télévisuel à la télévision privée".
  • Un nouveau canal hertzien de diffusion nationale est attribué par le gouvernement en novembre à la société France Cinq constitué par le Groupe Chargeurs de Seydoux (40%), Finninvest de l'Italien Berlusconi (20%) et Christophe Riboud (20%). Candidat évincé, la CLT dépose un recours devant le Conseil d'Etat. Mitterrand est la vedette de l'émission Ca nous intéresse Monsieur Le Président animée sur TF1 par Yves Mourousi.
  • Malgré le mouvement de foule qui a fait 38 morts dans le stade du Heysel à Bruxelles, le match de Football est maintenu et  programmé en direct par TF1. Premier film pornographique sur Canal+. Vif échange entre Jacques Chirac et le Premier Ministre Laurent Fabius lors d'un débat sur TF1. Le CEO cède la place à Médiamétrie, organisme de droit privé chargé de la mesure d'audience à la télévision et la radio. Première cérémonie des "Sept d'or". La bande FM accueille plus de 1200 radios locales privées.

Un des logos d'Etienne Robial pour Canal+ qui commence à émettre le 4 novembre 1984

Six ans pour La Cinq, dont les émissions démarrent le 20 février 1986 et s'arrêtent le 12 avril 1992

TV6," la plus jeune des télés", la plus éphémère aussi avec une seule année d'émissions : 1er mars 1986 - 28 février 1987

  • 1986. Le sixième réseau est attribué au projet de chaîne musicale TV6 dont les principaux actionnaires sont Gaumont et Publicis avec 25% chacun. Rapport de la commission d'enquête sénatorial protestant contre les conditions d'octroi de la Cinq.
  • Début des émissions de la Cinq le 20 février. Création de la Société d'éditions des programmes de télévision (SEPT dont l'INA est actionnaire à 15%) future chaîne culturelle qui doit être diffusée par satellite. Début des programmes de TV6 le 1er mars. Un million d'abonnés à Canal+. Première cohabitation. François Léotard, nouveau Ministre de la Communication, annonce la décision du gouvernement de Jacques Chirac de privatiser TF1. Annulation par le gouvernement des concessions de la Cinq et de TV6.
  • La Haute Autorité est remplacée par la Commission nationale de la Communication et des Libertés (CNCL) qui compte 13 membres et présidée par Gabriel de Broglie et dont les pouvoirs sont renforcés. Nouveaux mouvements à la direction des chaînes. Bernard Tapie lance Ambitions émission à grand spectacle dans lequel sont mêlés les variétés et l'économie. A2 diffuse quotidiennement la liste des journalistes retenus en otage au Liban. Mise en œuvre du premier réseau câblé avec Paris Première. Lancement d'une chaîne câblée pour les enfants : Canal J. 
  • 1987. Trois nouvelles chaînes privées dans le PAF (paysage audiovisuel français). La CNCL choisit le groupe de repreneurs mené par Bouygues pour le rachat de TF1 évinçant celui mené par Hachette et Havas. Francis Bouygues devient PDG de TF1 assisté par Patrick Le Lay. Le cinquième réseau est attribué au tandem Hersant Berlusconi actionnaires à 25% chacun: la Cinq garde le même nom.
  • Le sixième réseau est attribué au projet Métropole TV de la Lyonnaise des Eaux alliée à la CLT : TV6 qui arrête d'émettre le 28 février doit céder la place à M6. En attendant le lancement du satellite TDF1, la Sept commence la diffusion de ses premiers programmes sur FR3 . Projet de chaîne culturelle européenne avec l'Allemagne. François Mitterrand critique la CNCL dans l'hebdomadaire Le Point. L'émission Droit de réponse sur TF1 est arrêtée et son animateur Michel Polac licencié pour avoir laissé mettre cause à l'antenne son employeur Francis Bouygues. Création de France Info, chaîne de l'information continue à Radio France qui est aussi représenté sur les départements et territoires d'outre mer  par RFO et à l'étranger par RFI.

 

TF1 est privatisé en 1987 par le groupe de Francis Bouygues

 

En attendant TDF 1, La Sept commence sa diffusion sur FR3

TV6 cède la place à M6 qui commence à émettre dès le 1er mars 1987

  • 1988. Retour de la gauche au pouvoir avec le gouvernement de Michel Rocard. Catherine Tasca, nouveau ministre de la Communication, déclare "il y a une chaîne généraliste de trop". Lancement du satellite TDF1. 100000 abonnés sur le câble. Les Guignols de l'Info démarrent sur Canal+. Lancement de la chaîne câblée Planète.
  • 1989. Le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) se substitue à la CNCL. Composé de neuf membres désignés sur le modèle de la défunte Haute Autorité, le CSA est présidé par Jacques Boutet. Attribution par la CSA des cinq canaux de TDF1 dont Canal+ et La Sept. Images choc de la révolution roumaine et du "procès"  Ceaucescu.
  • 1990. Echec technique du satellite TDF 1 qui le rend inopérationel commercialement. Hachette entre dans le capital de la Cinq (22%, puis 25%) et devient opérateur de la chaîne. 500000 abonnés au câble. Naissance du magazine Envoyé Spécial de Paul Nahon et Bernard Benyamin. F3 programme une fois par semaine les émission de La Sept.
  • 1991. Création de la chaîne câblée Canal Jimmy qui diffuse en soirée sur le même canal que Canal J et de ceux chaînes payantes de cinéma : Cine-cinéma et Ciné-cinéfil. Création de France Supervision destinée à diffuser le format 16/9e. Création de la chaîne culturelle franco-allemande ARTE avec André Harris comme directeur des programmes. Plan stratégique d'Hervé Bourges qui prévoit le rapprochement des chaînes publiques A2 et FR3. La Cinq est mise en cessation de paiement.
  • 1992. Arrêt des émissions de la Cinq le 12 avril. Le réseau de la Cinq est attribué à Arte qui commence à diffuser le 28 septembre. Démarrage d'Arte sur le câble puis sur le cinquième canal hertzien à la place de la Cinq. Formation du groupe France Télévision dirigé par Hervé Bourges et qui comprend désormais France 2 et France 3. Premier jeu interactif sur FR3, Hugo Délire, faisant appel au cadran du téléphone. Lancement par Canal+ du bouquet de programmes Canalsatellite sur le satellite Télécom 2A. Un million d'abonnés sur le câble.
  • 1993. Lancements sur le câble d'Euronews, la chaîne de l'info, de Série Club par M6 et de Eurosport France issu de TF1 et Canal+. Le Premier Ministre Edouard Balladur annonce le lancement d'une "chaîne de la culture et de la formation qui pourra émettre sur le cinquième réseau pendant la journée en alternance avec Arte. Nommé par le CSA Jean Pierre Elkabach prend la tête de France Télévision.
  • 1994. André Rousselet, fondateur et président de Canal+ démissionne et fait paraître un article fracassant dans le quotidien Le Monde : "Edouard (Balladur) m'a tuer" (dans le texte). Lancement par TF1 de La Chaîne de l'info (LCI) sur le câble. Démarrage des programmes de La Cinquième, chaîne du savoir, présidée par Jean-Marie Cavada. Le CSA définit cinq catégories de radio privées et en réglemente la publicité. Les radios associatives représentent moins de la moitié des 1290 stations privées.
  • 1995. Hervé Bourges nommé par François Mitterrand à la tête du CSA.

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1989 - Le CSA se substitue à la CNCL

1990 - échec technique du satellite TDF 1, vue d'artiste

Arte qui se substitue à La Cinq commence à diffuser le 28 septembre 1992

Jacques Chirac (1995-1998)

  • 1996. Lancement en décembre de TPS (télévision par satellite) constitué par TF1 (25 %), France Télévision Entreprises (France Télécom /France Télévision 25%), M6 (20 %), CLT-UFA (20 %) et Suez Lyonnaise des Eaux (10 %). Outre la diffusion de chaînes généralistes, thématiques et à péage comme   le service de télévision à la carte Multivision, TPS propose des services interactifs exclusifs en Europe tels que Météo Express, le Guide des Programmes ou La Galerie TPS Boutiques.
  • 1997 : 320.000 abonnés lors du premier anniversaire de TPS.
  • 1998 : Installation des nouveaux locaux de France Télévision à Paris (15e). Conçu par France 2 un premier serveur informatique pour la post-production et la diffusion de sujets d'information remplace les magnétoscopes traditionnels.

Chronologie et données établies par Jean SEGURA

 

QUELQUES CHIFFRES

La durée hebdomadaire des programmes  de télévision passe de 12 heures en 1947 à 20 en 1950, 34 en 1953 et à une cinquantaine en 1960.
Les émetteurs : la tour Eiffel à Paris, puis Lille en 1951, premier émetteur de province, et un troisième à Strasbourg en 1953.
Les zones de réception : 10% en 1953, 50% en 1957, 70% en 1959 et plus de 90% en 1969.
Les récepteurs : 3800 en 1950, 24000 en 1952, 260000 en 1955, 988000 en 1958,1,9 M en 1960, 10M en 1969, 16 M en 1980, 25 M en 1992.

Comment les hommes de pouvoir (politiques et chefs d’entreprise principalement) se sont appropriés l’outil audiovisuel ?

Septembre 1998

Entretien de Jean Segura avec Léo Scheer à partir des deux approches suivantes

1) L’audiovisuel peut être considéré comme un appareil au service du pouvoir (voir la fameuse phrase du président Georges Pompidou en 1972 « la télévision est considérée comme la voix de la France »).

2) L’audiovisuel est une plate-forme médiatique incitant les personnages politiques (et d’autres) à devenir des acteurs qui vendent leur image en même temps que leur message (voir les « cas »  De Gaulle, Marchais, Tapie, Mitterand, Chirac, Le Pen, etc.).

Comment les hommes de pouvoir se sont approprié l'audiovisuel me semble être un contre sens dans la mesure où c'est l'inverse qui s'est passe : ils ont perdu le contrôle aussi bien du medium que du message face à l'outil audio visuel.

I) On pourrait distinguer les différentes étapes suivantes dans la lente etinexorable perte de contrôle de l'outil audio visuel au cours de la 5e République. Au début était De Gaulle, cette période initiale se caractérise par un contrôle complet du système : un seul réseau, une seule institution, l'ORTF, un seul contrôle par l'Etat dans la plus pure tradition du centralisme national et du service public, mais aussi par une véritable maîtrise du contenu, symbolisée par les performances du chef de l'Etat lui-même, faisant "passer" ses messages comme probablement plus personne ne parviendra plus à le faire dans le personnel politique après lui.
Un seul moment de fléchissement dans cette maîtrise absolue : ce moment particulier de mai 68, où doutant tout à coup de sa propre souveraineté et de la fiabilité du réseau télévisuel (les deux allaient vraiment ensemble à cette époque) il préfère, après sa disparition du 29 mai, transmettre son message de reprise en main par le truchement de la radio, tentant de réactiver dans l'inconscient collectif le frisson de l'appel devenu mythique du 18 juin.
Avec Pompidou et Giscard, on maintient, tant bien que mal, ce monopole du réseau et du message, Pompidou allant jusqu'au bout de cette logique en parlant de "voix de la France", et Giscard maintenant le monopole contre sa propre idéologie libérale, et aboutissant dans ses entretiens au coin du feu, et dans sa conception du contrôle de l'information, à une véritable caricature et presqu'à un contre sens, de l'utilisation de la télévision dans le monde moderne, ce qui ne fut pas sans conséquence sur son échec en 1981. A la Bastille, ceux qui se réjouissaient de la victoire de la gauche, réclamaient, avant tout autre chose : "Elkabbach démission...."
Cette dérive ne fut pas non plus étrangère au efforts entrepris par la gauche entre 1981 et 1984 pour sortir du monopole du système. Au sein de la commission Moinot qui préparait la premiere loi qui allait abolir le monopole de diffusion, on parlait surtout de l'abandon du système et on n'évoquait que du bout des lèvres la perspective de l'abandon réel d'un contrôle sur le contenu. On se dit alors qu'en confiant les systèmes de diffusion à des entités susceptibles d'être favorable politiquement, on pourrait limiter les conséquences, en matière de contenu et de message, d'une libéralisation des "tuyaux". Cette approche, par son hypocrisie, trouva très vite ses limites, et l'opposition de droite, revenant au pouvoir dans le cadre de la premiere cohabitation, s'empressa de faire passer le balancier de l'autre côté, mais en maintenant la même illusion : on pensait qu'il suffisait de "donner" les réseaux à Bouygues, à Hersant, à Jérôme Monod pour que le "message" diffuse par ces réseaux et redevienne politiquement correct et efficace. Avec l'échec de Chirac en 1988, on commença à découvrir, dans le petit monde politique, qu'il ne suffisait peut être plus d'exercer ce mode archaïque de contrôle sur les média pour en faire des haut-parleurs de son idéologie.
Avec les années 1990 (après un énième échec de réforme en profondeur du système au cours de la deuxième cohabitation, et la démonstration, par l'échec de Balladur, qu'une maîtrise aussi tenace soit-elle des contenus de l'information, faisant coïncider un discours très libéral sur les " tuyaux" et une pratique, à la "Giscard", sur les contenus, avec les caricatures que ne manquèrent pas de souligner les "Guignols" tels Claire Chazal ou PPDA), on découvrait que malgré cette nouvelle forme de matraquage post idéologique, un homme politique comme Balladur, qui détenait toutes les cartes des média modernes, et y compris leur mode d'emploi, ne pouvait que perdre à ce petit jeu archaïque. L'élection de Jacques Chirac en 1995 sonnait le glas définitif de cette illusion d'une quelconque capacité de maîtrise par les hommes de pouvoir que ce soit sur le système ou sur le contenu transmis.

Bon, voilà un début de discussion avec toi qui permet de lancer la polémique par rapport aux idées qui ont beaucoup de succès en ce moment et qui voudrait nous faire croire que les media sont de plus en plus sous le contrôle du pouvoir....

II) L'autre aspect de la question sur l'appropriation de l'outil audiovisuel par les hommes de pouvoir concerne les "chefs d'entreprise". On pourrait considérer que la perte de contrôle par l'Etat se fait au bénéfice d'une logique capitaliste, et que les puissances de l'argent, le "grand capital", prennent le relais de la puissance publique avec le processus de libéralisation. Toutes les apparences vont dans ce sens. Et pourtant.....Ceux à qui l'on confie les "tuyaux" ne sont que les "amis" du pouvoir politique, et la logique qui préside à l'attribution des réseaux ressemble plus à un petit jeu de palais qu'à celle, implacable, des loi du marché et de la compétition économique. Nous sommes loin, dans la France de la 5e République, d'une évolution capitaliste de l'audiovisuel ; les élus sont rarement les groupes susceptibles de concurrencer les grandes entreprises internationales du secteur de la communication et les critères restent trop archaïquement politiques pour que notre PAF n'ait pas un arrière goût de république bananière.
Second aspect qui domine l'évolution apparente de l'audiovisuel, l'emprise croissance de la loi de l'audience et de l'audiométrie. On pourrait penser que cette évolution, qui impose aux programmes d'aller à la rencontre des cibles du marketing, est une illustration du fait que les chefs d'entreprise prennent le contrôle du système dans la mesure où les émissions, les programmes sont taillés sur mesure pour vendre leurs produits. Mais les questions qu'il faut se poser est : est-ce que ça marche, et comment cela évolue-t-il ?  A la "grande époque" du contrôle public sur la télévision et du monopole, on était loin de cette logique, et pourtant, il suffisait alors qu'un présentateur laisse négligemment traîner un produit dans le champ de la caméra (on appelait ça à l'époque de la publicité clandestine, et certains, comme Pozzo di Borgo, découvrirent à quel point il s'agissait d'un péché) pour que le produit ainsi subrepticement promu voit ses ventes s'envoler. Aujourd'hui, à la télévision, tout est fait pour vendre des produits, tout tourne autour de cette obsession de l'audience et du ciblage ; on atteint des prix souvent excessifs au regard des autres média, et pourtant, a-t-on la preuve que cela marche de mieux en mieux ? Ne constate-t-on pas, au contraire une crise du marketing, qui rejoint les symptômes de la crise de l'efficacité du discours politique et idéologique?
Si donc ce ne sont ni les politiques ni les capitalistes qui se sont approprié l'outil audiovisuel au cours de la 5e République, qui l'a fait?
Probablement, dans un premier temps, la logique de la "société du spectacle" s'est emparé de ces deux pouvoirs politique et économique. Les stratèges en communication ont connu deux décennies de gloire entre 1974 et 1995, on ne pouvait pas s'en passer, et la logique du spectacle faisant qu'on ne savait plus très bien qui travaillait pour le compte de qui. Les "chefs" finissaient par être "produits" par ceux qui étaient supposés les servir, et terminaient comme les figurants de leurs mise en scène. Le "numéro" de Mitterrand sur le verlan mis en scène par Pilhan, restera de ce point de vue comme une apothéose de la pure mise en scène du politique. Mais petit à petit, ce pouvoir de produire et de mettre en scène le pouvoir politique ou économique, a fini par faire le tour de ses capacités propres, aboutissant, pour le politique, à sa mise en échec par le Front National, qui devient dès lors, le seul discours politique qui "passe" : véritable démonstration des limites de l'exercice de la société du spectacle. Tandis que du côté du pouvoir économique, on voit fleurir les fausses valeurs du type Tapie, porteur d'un discours économique populiste, reposant lui aussi sur les faillites de la logique capitaliste, et sur le triomphe des usurpateurs et des faiseurs.

Le Triomphe de l'ânerie ?
En fait voilà probablement désignés les gagnants de cette évolution, pas même des "chiens de garde" car il ne gardent plus rien, des personnages de média pur, ayant le don de vider les modalités de leur communication de tout contenu ou de toute consistance, souvent journalistes, parfois acteurs, ils sont les représentants de l'ère du vide, et ils ne font triompher que l'inanité de leur propre personnage. Ils sont là aussi pour garantir à la masse de ceux qui les consomment, que plus personne ne viendra les déranger dans cet œil du cyclone qu'est la télévision, que plus un idéologue ne viendra tenter de les mobiliser autour de quoi que ce soit, et qu'ainsi, la masse est protégée dans son opacité par ces nouveaux gardiens du temple que sont les stars de la télévision. Il faut d'ailleurs noter que ces personnages sont de plus en plus insaisissables : qui sont ces gens qu'on voit aller de chaîne en chaîne prendre place autour de ces animateurs eux-mêmes de moins en moins distincts, et qui sont là pour donner leur avis, chanter, commenter, sans qu'on sache très bien à qui l'on a affaire, jeunes personnes aux décolletés plongeant aussi vertigineux que le vide de leur regard, personnages curieux, sans référence, au sexe de plus en plus indéterminé, zigotos dont on ne sait plus s'ils sont chanteurs, acteurs ou présentateurs et qui ne savent pratiquement plus rien faire de tout cela. Voici les "hommes de pouvoir" qui se sont approprié la télévision au cours de la 5e République, peut on appeler cela autrement que le triomphe de l'ânerie ?

III) Sur les idées un peu réactionnaires de la fin, ce que je veux dire, c'est que dans un premier temps on a vu arriver des "Monsieur Ceci et Cela", Monsieur Guerre du Golfe, Monsieur Philosophie, Monsieur Littérature, Monsieur Science, Monsieur Economie etc, qui progressivement ont pris la place des vrais spécialistes, des vrais philosophes, des vrais économistes etc. Ce phénomène était amplifié par les mécanismes liés à l'édition et à la diffusion des livres qui s'est mis à fonctionner en vase clos avec la télévision, devenue un point de passage obligé pour vendre des livres. Et puis petit à petit, ces fausses valeurs ayant fini leur carrière, on a découvert que "pas de valeur du tout" c'était encore plus efficace que "fausse valeur" et que ça se diffusait mieux, plus largement. C'est ainsi qu'on est arrivé à cette conquête de l'audiovisuel par le vide et par les "stars" du vide, dont je voudrais qu'on comprenne bien qu'il ne s'agit pas ici de les dénoncer au nom de je ne sais quel enjeu culturel totalement dépassé, mais de comprendre le rôle social qu'ils assument. Ils constituent en effet le véritable rempart que la société s'est construite pour se défendre contre les politiques et contre les fausses valeurs. C'est le public qui a décrété qu'il préférait le rien à l'usurpation, et finalement, tous ces animateurs débiles sont plébiscites par le public en lieu et place de tous les donneurs de leçons que la masse ne veut plus entendre, pas plus qu'elle ne veut suivre les idéologues.

Léo SCHEER

Léo Scheer : ancien directeur du développement du groupe Havas 1980-1984 et de Publicis 1984-1988, concepteur de Canal +, de TV6, d'ASTRA, membre de la Commission Campet sur l'Audiovisuel Public, et de la Mission Autoroutes de l'Information.

Il est actuellement Directeur de l'Observatoire de la Television. Auteur de la Démocratie Virtuelle, 1984 Flammarion, et de l'Hypothèse de la Singularité chez Sens et Tonka 1998.